Review/2001/1
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D’Ottawa à Bangkok et au-delà : la nécessité de redéfinir la promotion de la santé 

Moncef Marzouki, membre du comité éditorial, RHPEO


Marzouki, Moncef, D’Ottawa à Bangkok et au-delà : la nécessité de redéfinir la promotion de la santé, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2005. URL:4/index.htm.

Promouvoir veut dire en français : augmenter, élargir, élever à un grade supérieur. Or on voit mal comment  on peut élever à un grade supérieur la santé telle qu’elle est définie par l’OMS .

Une définition, si elle ne veut pas être, comme a dit un humoriste,  un mur de mots creux entourant un terrain vague d’idées, doit soit décrire ce qui existe en termes succincts, soit décrire des objectifs en termes réalistes. Voilà pourquoi je considère que la plus mauvaise  des définitions jamais donnée à la santé est justement celle de l’OMS, répétée de façon  quasi dévote par des générations de professionnels et d’étudiants. Elle est devenue si sacrée que  j’espère ne pas commettre un sacrilège en demandant qu’on l’oublie une fois pour toutes.

Quand on pose dans groupe en formation la question : quelles sont les personnes ici présentes  actuellement en ‘’ Etat complet de bien être physique, psychologique et social ‘‘, tout le monde rit d’un air gêné.  Si on demande aux participants de décrire l’état d’une mère qui vient de perdre son bébé mais persistant néanmoins à vouloir faire plaisir à l’OMS en gardant son complet bien être, c’est le qualificatif de monstre qui est le plus utilisé. Le complet mal être est reconnu par tous comme un droit et une norme de bonne santé dans ce cas. Cette femme sera dite saine si elle souffre et si elle est capable au bout d’un temps raisonnable, celui du deuil normal, de retrouver son équilibre antérieur. Quand on pousse le groupe à réfléchir sur  la nature de l’Etat réalisé par le  ‘’complet bien être physique, psychologique et social’’, tout le monde s’accorde à dire que c’est de bonheur et non de santé qu’il s’agit.

Reste à réfuter le dernier argument des amateurs de cette définition. On nous dit qu’il s’agit de décoller la santé du biologique où les médecins l’ont cantonné et là on ne peut qu’être d’accord. Mais quand on nous dit qu’ainsi définie la santé est un idéal qui nous mobilise, cela ne colle plus. Les professionnels sont-ils là pour s’efforcer à atteindre un idéal ou à gérer au mieux ce qui ne l’est pas ? Qui plus est, comment concilier un but si démesuré avec ce qui est enseigné dans les méthodes de planification à savoir qu’un objectif doit être précis, réalisable, pertinent, évaluable etc… La  définition de l’OMS ne définit pas le champ qu’elle est censée définir et le fait avec le plus mauvais traceur. Elle fait de tous les biens portants des malades qui s’ignorent et fixe à tous ceux qui veulent vivre en santé un objectif inatteignable.

*

Les rédacteurs de la Charte d’Ottawa, tout en continuant à se référer à cette pseudo-définition, s’en démarquent heureusement un peu  puisque ils récusent que la santé puisse être un but, mais la qualifient plutôt de ressource. Pragmatiques, ils passent de l’incantatoire à l’opératoire en  liant d’emblée sa promotion à deux idées clé :

1- la place centrale de l’usager appelé à la prendre en charge ;

2- le déplacement du point de gravité de l’exigence de soins et de prévention à celle de l’accès aux déterminants de la santé clairement identifiés comme étant ‘’des facteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux, comportementaux et biologiques’’.

Concentrons-nous sur le premier point. Sans la participation de l’usager et son engagement, pour ne pas parler de sa prise de responsabilité, point de promotion. Or un tel engagement ne se décrète pas. Il faut en examiner les conditions sinon on suppose le problème résolu avant de l’avoir posé. La pratique de la santé publique dans les pays du sud révèle l’importance primordiale d’un facteur politique que les rédacteurs de la Charte d’Ottawa ont trop vite considéré comme allant de soi  : la Démocratie.

Sous une dictature, tout engagement ou prise de responsabilité non contrôlés sont assimilés à des actes subversifs. Seuls des citoyens et non des sujets peuvent donc prendre en charge leur santé.  Les citoyens n’existent que dans des pays gérés par des régimes démocratiques et non dans ceux qui subissant l’occupation interne d’une dictature. La Démocratie est donc  une condition nécessaire à ‘’la promotion de la santé ‘’, mais elle n’est pas une condition suffisante. Même dans une société démocratique, une frange de la population est et restera dépendante, qu’il s’agisse des enfants, des personnes âgées, des handicapés gravement atteints,  de personnes souffrant d’une grande pauvreté ou d’un grave problème de santé.

Si l’on considère maintenant le reste des citoyens, une frange non négligeable sera peu intéressée par le démarchage des professionnels de la promotion voulant les mettre au centre de leur dispositif. Que ce soit pour des raisons psychologiques, sociales ou culturelles, des  citoyens peuvent soit suspendre leur participation à tout champ d’intérêt commun, soit investir des domaines autres que ceux de la santé. Après tout, nous-mêmes faisons confiance aux professionnels dans d’autres domaines et ne participons que dans des sphères d’activités sociales très spécifiques ...ceci quand nous sortons hors de notre champ d’activité principal. On pourra toujours faire du recrutement mais les participants ne constitueront jamais une masse critique faisant de la ‘’ promotion de la sant钒 l’affaire de tous préconisée par les promoteurs du concept.

Le deuxième point d’achoppement tient au déplacement opéré vers  les vrais déterminants de la santé et la responsabilité des vrais acteurs. Théoriquement, on ne peut que souscrire à la phrase clé de la charte d’Ottawa : ‘’La promotion de la santé exige en fait, l’action coordonnée de tous les intéressés : gouvernement, acteurs de la santé et autres secteurs sociaux et économiques, organisations non gouvernementales, autorités locales, industries et médias ‘’.  Le problème c’est que  la théorie confond désir et réalité.

Reprenons la question des déterminants de la santé tels qu’évoqués (pour certains d’entre eux  seulement et  brièvement ) par la charte d’Ottawa. En réalité ces déterminants renvoient aux  droits de l’homme (ou de la personne). Les droits individuels (dignité, liberté, équité, personnalité juridique etc.), les droits politiques (liberté d’expression, de croyance, d’élection, d’association), les droits sociaux–économiques (logement, nourriture, éducation, travail, loisirs) tels que stipulés par la Déclaration Universelle de 1948, constituent la liste presque exhaustive des facteurs nécessaires au fameux complet bien être et dont la santé pourrait être une facette.

Malheureusement la réalité d’un droit est celle de sa violation. Si nous faisons face aux graves problèmes de santé touchant des millions de gens, c’est bien parce que leurs droits, surtout sociaux–économiques ont été violés. Or la violation suppose forcément l’existence d’un violeur plus ou moins conscient, plus ou moins déterminé. Aujourd’hui l’exportation du risque du cancer du poumon dans les pays du sud par la délocalisation des activités des compagnies américaines du tabac ne peut pas être stoppée grâce à des politiques ‘’coordonnées’’ par les ‘’ différents acteurs’’ qui ont été incités  ‘à prendre conscience des conséquences de leurs décisions sur la santé en les amenant à admettre leur responsabilité à leur égard’’. C’est comme si on recommandait la fin de la torture par des actions coordonnées entre les dictatures et leurs oppositions.

De telles phrases signent tout l’angélisme de l’approche, si loin de la vie réelle avec ses  ressources limitées, ses injustices structurelles, ses acteurs en compétition féroce et en conflit  permanent sur l’interprétation du mal et du bien. Si l’on revient à cette vie réelle pour analyser certaines expériences de promotion de la santé comme, justement, la lutte contre les politiques criminelles des compagnies de tabac, on trouvera tous les ingrédients d’une bataille classique pour  la défense et la promotion de n’importe quel droit humain :

- Des citoyens de tous bords (professionnels, usagers, politiques) se sont mobilisés autour d’une problématique de santé.

- Des actions de dénonciation et de proposition ont été menées à terme.

- Ces actions ont été dirigées contre les intérêts d’acteurs puissants qui se sont défendu pour maintenir le statu-quo ou pour en contrôler l’évolution.

- Les résultats du conflit ont été déterminés par les rapports de force politiques.

 **

Essayons à partir de ces  idées  de recentrer le problème de la définition de la promotion de la santé en partant d’une définition plus prosaïque de la santé elle-même. Voici celle qui est proposée au débat :

La santé est l’état de l’organisme présentant, à un moment donné, et dans un environnement  fluctuant et dangereux, le plus grand degré d’autonomie souhaitable par la société et le plus grand état de satisfaction souhaité par la personne. Cet état traduit la réussite des mécanismes biologiques complexes d’adaptation et de recherche de l’équilibre, par la constante mobilisation de ressources matérielles, psychologiques et spirituelles, dont le degré de jouissance dépend de facteurs politiques,  sociaux-économiques et culturels.

On voit ici comment pourrait se raccrocher une vision de la promotion de la santé en continuité avec l’approche de la charte d’Ottawa mais légèrement décalée :

La santé peut se perdre par faillite momentanée des mécanismes d’adaptation entraînant une dépendance plus ou moins lourde vis à  vis de la médecine et de la famille, et une satisfaction faible ou nulle du patient. C’est le rôle de la médecine technicienne de l’aider à se remettre de cette phase délicate.

La santé peut être menacée par les dangers présents dans l’environnement, ou par la lente et irrémédiable dégradation d’un organisme, somme – toute  mortel.  La protection de la santé se fera à travers des programmes de prévention essayant d’utiliser au mieux les ressources disponibles tant internes qu’externes .

Quelle que soit la capacité de l’organisme à s’adapter aux conditions les plus difficiles, un certain nombre de ressources matérielles et spirituelles sont nécessaires à cette lutte permanente pour la survie. Plus ces ressources seront présentes en quantité et en qualité, plus la santé sera assurée le plus longtemps possible et au plus grand nombre possible de membres de la communauté.

Dans une société humaine le combat pour cette ‘’ couverture universelle ‘’ en  déterminants de la santé est incessant car elle met en jeu des ressources rares le plus souvent réparties en fonction de rapports de force politiques.

La promotion de la santé est  le processus par lequel des citoyens, toutes professions  confondues, impliqués dans les questions de santé, agissent sur le plan politique à un niveau déterminé (international, national ou local) en vue d’élargir la couverture en déterminants de la santé au maximum des personnes et plus précisément aux plus démunies.

Le modèle suivant tente de définir la place de la promotion par rapport aux autres interventions dans le continuum de la santé :

                           

Niveaux de  solutions des problèmes de santé

 

   Champs              sujet                                   moyens                             acteur principal 

Promotion :     Population générale          Droits de l’homme                     Le politique   

 

Protection :   Populations à risque    Programmes de prévention                Equipes multi

 

Restauration :    Le patient                 Technologie médicale              Professionnels médicaux 

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On voit bien que dans ce modèle,  les patients proviennent d’une population à risque (mais pas seulement, si l’on considère l’accident). Elles-mêmes sont une partie plus ou moins importante de la population générale, privée d’une partie de ses droits sociaux-économiques, politiques et culturels. A ce niveau, seule l’intervention politique des professionnels de santé, en leur qualité de citoyens travaillant avec d’autres citoyens dont les usagers , peut initier une véritable action  promotion de la santé.

Tout le reste n’est qu’une forme sophistiquée et plus ou moins bien déguisée d’une action de prévention classique où des usagers sont là pour faire plaisir et faire illusion.                                               

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