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DOttawa à Bangkok et au-delà : la nécessité de redéfinir la promotion de la santé Moncef Marzouki, membre du comité éditorial, RHPEO Marzouki, Moncef, DOttawa à Bangkok et au-delà : la nécessité de redéfinir la promotion de la santé, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2005. URL:4/index.htm. Promouvoir veut dire en français : augmenter, élargir, élever à un grade supérieur. Or on voit mal comment on peut élever à un grade supérieur la santé telle quelle est définie par lOMS . Une définition, si elle ne veut pas être, comme a dit un humoriste, un mur de mots creux entourant un terrain vague didées, doit soit décrire ce qui existe en termes succincts, soit décrire des objectifs en termes réalistes. Voilà pourquoi je considère que la plus mauvaise des définitions jamais donnée à la santé est justement celle de lOMS, répétée de façon quasi dévote par des générations de professionnels et détudiants. Elle est devenue si sacrée que jespère ne pas commettre un sacrilège en demandant quon loublie une fois pour toutes. Quand on pose dans groupe en formation la question : quelles sont les personnes ici présentes actuellement en Etat complet de bien être physique, psychologique et social , tout le monde rit dun air gêné. Si on demande aux participants de décrire létat dune mère qui vient de perdre son bébé mais persistant néanmoins à vouloir faire plaisir à lOMS en gardant son complet bien être, cest le qualificatif de monstre qui est le plus utilisé. Le complet mal être est reconnu par tous comme un droit et une norme de bonne santé dans ce cas. Cette femme sera dite saine si elle souffre et si elle est capable au bout dun temps raisonnable, celui du deuil normal, de retrouver son équilibre antérieur. Quand on pousse le groupe à réfléchir sur la nature de lEtat réalisé par le complet bien être physique, psychologique et social, tout le monde saccorde à dire que cest de bonheur et non de santé quil sagit. Reste à réfuter le dernier argument des amateurs de cette définition. On nous dit quil sagit de décoller la santé du biologique où les médecins lont cantonné et là on ne peut quêtre daccord. Mais quand on nous dit quainsi définie la santé est un idéal qui nous mobilise, cela ne colle plus. Les professionnels sont-ils là pour sefforcer à atteindre un idéal ou à gérer au mieux ce qui ne lest pas ? Qui plus est, comment concilier un but si démesuré avec ce qui est enseigné dans les méthodes de planification à savoir quun objectif doit être précis, réalisable, pertinent, évaluable etc La définition de lOMS ne définit pas le champ quelle est censée définir et le fait avec le plus mauvais traceur. Elle fait de tous les biens portants des malades qui signorent et fixe à tous ceux qui veulent vivre en santé un objectif inatteignable. * Les rédacteurs de la Charte dOttawa, tout en continuant à se référer à cette pseudo-définition, sen démarquent heureusement un peu puisque ils récusent que la santé puisse être un but, mais la qualifient plutôt de ressource. Pragmatiques, ils passent de lincantatoire à lopératoire en liant demblée sa promotion à deux idées clé : 1- la place centrale de lusager appelé à la prendre en charge ; 2- le déplacement du point de gravité de lexigence de soins et de prévention à celle de laccès aux déterminants de la santé clairement identifiés comme étant des facteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux, comportementaux et biologiques. Concentrons-nous sur le premier point. Sans la participation de lusager et son engagement, pour ne pas parler de sa prise de responsabilité, point de promotion. Or un tel engagement ne se décrète pas. Il faut en examiner les conditions sinon on suppose le problème résolu avant de lavoir posé. La pratique de la santé publique dans les pays du sud révèle limportance primordiale dun facteur politique que les rédacteurs de la Charte dOttawa ont trop vite considéré comme allant de soi : la Démocratie. Sous une dictature, tout engagement ou prise de responsabilité non contrôlés sont assimilés à des actes subversifs. Seuls des citoyens et non des sujets peuvent donc prendre en charge leur santé. Les citoyens nexistent que dans des pays gérés par des régimes démocratiques et non dans ceux qui subissant loccupation interne dune dictature. La Démocratie est donc une condition nécessaire à la promotion de la santé , mais elle nest pas une condition suffisante. Même dans une société démocratique, une frange de la population est et restera dépendante, quil sagisse des enfants, des personnes âgées, des handicapés gravement atteints, de personnes souffrant dune grande pauvreté ou dun grave problème de santé. Si lon considère maintenant le reste des citoyens, une frange non négligeable sera peu intéressée par le démarchage des professionnels de la promotion voulant les mettre au centre de leur dispositif. Que ce soit pour des raisons psychologiques, sociales ou culturelles, des citoyens peuvent soit suspendre leur participation à tout champ dintérêt commun, soit investir des domaines autres que ceux de la santé. Après tout, nous-mêmes faisons confiance aux professionnels dans dautres domaines et ne participons que dans des sphères dactivités sociales très spécifiques ...ceci quand nous sortons hors de notre champ dactivité principal. On pourra toujours faire du recrutement mais les participants ne constitueront jamais une masse critique faisant de la promotion de la santé laffaire de tous préconisée par les promoteurs du concept. Le deuxième point dachoppement tient au déplacement opéré vers les vrais déterminants de la santé et la responsabilité des vrais acteurs. Théoriquement, on ne peut que souscrire à la phrase clé de la charte dOttawa : La promotion de la santé exige en fait, laction coordonnée de tous les intéressés : gouvernement, acteurs de la santé et autres secteurs sociaux et économiques, organisations non gouvernementales, autorités locales, industries et médias . Le problème cest que la théorie confond désir et réalité. Reprenons la question des déterminants de la santé tels quévoqués (pour certains dentre eux seulement et brièvement ) par la charte dOttawa. En réalité ces déterminants renvoient aux droits de lhomme (ou de la personne). Les droits individuels (dignité, liberté, équité, personnalité juridique etc.), les droits politiques (liberté dexpression, de croyance, délection, dassociation), les droits sociauxéconomiques (logement, nourriture, éducation, travail, loisirs) tels que stipulés par la Déclaration Universelle de 1948, constituent la liste presque exhaustive des facteurs nécessaires au fameux complet bien être et dont la santé pourrait être une facette. Malheureusement la réalité dun droit est celle de sa violation. Si nous faisons face aux graves problèmes de santé touchant des millions de gens, cest bien parce que leurs droits, surtout sociauxéconomiques ont été violés. Or la violation suppose forcément lexistence dun violeur plus ou moins conscient, plus ou moins déterminé. Aujourdhui lexportation du risque du cancer du poumon dans les pays du sud par la délocalisation des activités des compagnies américaines du tabac ne peut pas être stoppée grâce à des politiques coordonnées par les différents acteurs qui ont été incités à prendre conscience des conséquences de leurs décisions sur la santé en les amenant à admettre leur responsabilité à leur égard. Cest comme si on recommandait la fin de la torture par des actions coordonnées entre les dictatures et leurs oppositions. De telles phrases signent tout langélisme de lapproche, si loin de la vie réelle avec ses ressources limitées, ses injustices structurelles, ses acteurs en compétition féroce et en conflit permanent sur linterprétation du mal et du bien. Si lon revient à cette vie réelle pour analyser certaines expériences de promotion de la santé comme, justement, la lutte contre les politiques criminelles des compagnies de tabac, on trouvera tous les ingrédients dune bataille classique pour la défense et la promotion de nimporte quel droit humain : - Des citoyens de tous bords (professionnels, usagers, politiques) se sont mobilisés autour dune problématique de santé. - Des actions de dénonciation et de proposition ont été menées à terme. - Ces actions ont été dirigées contre les intérêts dacteurs puissants qui se sont défendu pour maintenir le statu-quo ou pour en contrôler lévolution. - Les résultats du conflit ont été déterminés par les rapports de force politiques. ** Essayons à partir de ces idées de recentrer le problème de la définition de la promotion de la santé en partant dune définition plus prosaïque de la santé elle-même. Voici celle qui est proposée au débat : La santé est létat de lorganisme présentant, à un moment donné, et dans un environnement fluctuant et dangereux, le plus grand degré dautonomie souhaitable par la société et le plus grand état de satisfaction souhaité par la personne. Cet état traduit la réussite des mécanismes biologiques complexes dadaptation et de recherche de léquilibre, par la constante mobilisation de ressources matérielles, psychologiques et spirituelles, dont le degré de jouissance dépend de facteurs politiques, sociaux-économiques et culturels. On voit ici comment pourrait se raccrocher une vision de la promotion de la santé en continuité avec lapproche de la charte dOttawa mais légèrement décalée : La santé peut se perdre par faillite momentanée des mécanismes dadaptation entraînant une dépendance plus ou moins lourde vis à vis de la médecine et de la famille, et une satisfaction faible ou nulle du patient. Cest le rôle de la médecine technicienne de laider à se remettre de cette phase délicate. La santé peut être menacée par les dangers présents dans lenvironnement, ou par la lente et irrémédiable dégradation dun organisme, somme toute mortel. La protection de la santé se fera à travers des programmes de prévention essayant dutiliser au mieux les ressources disponibles tant internes quexternes . Quelle que soit la capacité de lorganisme à sadapter aux conditions les plus difficiles, un certain nombre de ressources matérielles et spirituelles sont nécessaires à cette lutte permanente pour la survie. Plus ces ressources seront présentes en quantité et en qualité, plus la santé sera assurée le plus longtemps possible et au plus grand nombre possible de membres de la communauté. Dans une société humaine le combat pour cette couverture universelle en déterminants de la santé est incessant car elle met en jeu des ressources rares le plus souvent réparties en fonction de rapports de force politiques. La promotion de la santé est le processus par lequel des citoyens, toutes professions confondues, impliqués dans les questions de santé, agissent sur le plan politique à un niveau déterminé (international, national ou local) en vue délargir la couverture en déterminants de la santé au maximum des personnes et plus précisément aux plus démunies. Le modèle suivant tente de définir la place de la promotion par rapport aux autres interventions dans le continuum de la santé :
Niveaux de solutions des problèmes de santé
Champs sujet moyens acteur principal Promotion : Population générale Droits de lhomme Le politique
Protection : Populations à risque Programmes de prévention Equipes multi
Restauration : Le patient Technologie médicale Professionnels médicaux _____________________________________________________________________
On voit bien que dans ce modèle, les patients proviennent dune population à risque (mais pas seulement, si lon considère laccident). Elles-mêmes sont une partie plus ou moins importante de la population générale, privée dune partie de ses droits sociaux-économiques, politiques et culturels. A ce niveau, seule lintervention politique des professionnels de santé, en leur qualité de citoyens travaillant avec dautres citoyens dont les usagers , peut initier une véritable action promotion de la santé. Tout le reste nest quune forme sophistiquée et plus ou moins bien déguisée dune action de prévention classique où des usagers sont là pour faire plaisir et faire illusion. | ||
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