Review/2001/1
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De la convergence théorique à la convergence des actions1

Claire Dumont, Institut de réadaptation en déficience physique de Québec; Professeure associée, Département de réadaptation, Faculté de médecine, Université Laval, Québec.


Dumont, Claire, De la convergence théorique à la convergence des actions, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:10/index.htm.

Mes commentaires sur la Charte de promotion de la santé de Bangkok sont faits à partir d’une analyse de l’évolution de certains modèles théoriques dans le domaine de la santé. Ils amènent à identifier une convergence dans les courants de pensée qui aurait avantage à se traduire en convergence d’actions.

Les modèles de référence issus de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) illustrent en plusieurs points l’évolution de la pensée dans le domaine de la santé. Ainsi, en 1948, l’OMS a publié la classification internationale des maladies, troubles, lésions et traumatismes (CIM), encore utilisée aujourd’hui dans sa dixième version (CIM-10). Dans la plus pure tradition biomédicale, il s’agissait de classer toutes les maladies et affections par système (osseux, musculaire, digestif et autre). Son intérêt premier était la codification des diagnostics et était axé sur les aspects de morbidité et de symptomatologie. Ce modèle présentait plusieurs lacunes notamment par sa vision normative de l’humain et par le manque de prise en compte des conséquences des maladies chroniques sur la personne (Fougeyrollas, 2001). En effet, il est possible de diagnostiquer une « maladie » sans que la personne en soit incommodée, simplement en référence à une norme définie. Par contre, certaines maladies laissent des limitations ou des séquelles persistantes à la personne, même après une « guérison ». La classification ne permettait pas de saisir ces dimensions. Une nouvelle classification a donc été élaborée: la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH) (OMS, 1980). Cette classification avait l’avantage de distinguer l’atteinte biologique sur les systèmes organiques (déficiences), de leurs conséquences sur la personne (incapacités) et sur ses occupations (handicaps). Cette classification proposait une compréhension du handicap selon une relation linéaire de cause à effet entre divers niveaux : la maladie ou les blessures se manifestent par une déficience organique ou fonctionnelle générant une incapacité sur le plan des comportements et des activités de la personne, pouvant entraîner des désavantages sur le plan social. On élargissait ainsi quelque peu la vision strictement biomédicale du départ. Par contre, ce modèle ne prenait pas en compte l’environnement, il demeurait linéaire, réductionniste et sa terminologie était négative. Certains modèles, comme le modèle du Processus de production du handicap (Fougeyrollas, Cloutier, Bergeron, Côté, Côté & St-Michel, 1996; Fougeyrollas, 1997) et le modèle d’Evans et Stoddard (1996), amélioraient cette perspective en prenant en compte les facteurs environnementaux ainsi que les interactions entre les facteurs. De plus, ils proposaient une vision positive de la santé et du fonctionnement des individus.

Suite à de nombreuses critiques concernant la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps, l’OMS a récemment développé, avec l’aide de nombreux partenaires internationaux, un nouveau modèle de classification des maladies et des incapacités appelé Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF-2) (OMS, 2001a ; Stewart, 2002). Ce modèle adopte une approche écologique et identifie clairement les facteurs environnementaux comme ayant un impact sur la santé et la participation des individus, contrairement aux modèles précédents de l’OMS (voir la figure 1). De plus, la classification associée à ce modèle ne se base plus sur les taux de mortalité pour apprécier l’état de santé des populations mais adopte une perspective positive, en faisant passer le centre d’intérêt sur la vie, sur la façon dont les gens vivent avec une pathologie et améliorent leurs conditions de vie (OMS, 2001b). Ce modèle, systémique, dynamique et interactif, intègre à la fois le modèle biomédical et le modèle social de la maladie et du handicap (Fougeyrollas & Beauregard, 2001). Le handicap est considéré non seulement comme un problème lié à l’individu, découlant directement d’une pathologie, mais également comme un problème induit par la société de par son interaction avec un environnement défavorable. La CIF-2 constitue une véritable révolution philosophique qui nécessite de repenser la fonction et l’intérêt même du modèle biomédical curatif, notamment dans le domaine de la réadaptation. Il rejoint ainsi en plusieurs points la Charte d’Ottawa (1986) et celle de Bangkok (OMS, 2005). 

Figure 1 : Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (OMS, 2001a)

Dans la CIF-2, par facteurs personnels, il faut entendre tous les éléments intrinsèques à la personne tels que : âge, sexe, stature, éducation, origine culturelle et sociale, condition physique, psychique, mentale et autre. L’environnement est compris comme l’environnement physique, matériel et humain, soit le contexte de vie de la personne. Il englobe tant le contexte géographique, social et familial de la personne que l’ensemble des services communautaires, systèmes sociaux et de santé qui ont un impact sur la vie quotidienne. La notion d’obstacle environnemental couvre ce que l’on appelle les « barrières architecturales », mais également les barrières d’attitudes, telles les comportements, la discrimination ou la terminologie utilisée. Selon l’OMS, « L’état de fonctionnement […] de la personne est le résultat de l’interaction dynamique entre son problème de santé et les facteurs contextuels » (OMS, 2001a, p. 8). La santé est en lien avec la possibilité d’activités dans un environnement de vie favorisant l’intégration et l’autonomie. On reconnaît ici presque textuellement certains passages de la Charte d’Ottawa, ce qui démontre la convergence des réflexions.

Les travaux qui ont mené à la Charte d’Ottawa, puis à celle de Bangkok, et ceux qui ont mené à la CIF-2 sont distincts. Ainsi, malgré des convergences entre ces référents théoriques, quelques divergences persistent et seront maintenant soulignées.

Une première divergence peut se lire dans le premier énoncé de la Charte de promotion de la santé de Bangkok sur les droits de l’homme, le respect de la diversité et la dignité. Il est écrit à cette section: « […] sans distinction de race, de religion, de conviction politique, ou de condition socio-économique. ». À la lumière de la CIF-2, il semble important d’ajouter à cette liste les caractéristiques de sexe, de genre, de stature, d’éducation, de condition physique, psychique ou mentale, soit notamment la présence de déficience ou d’incapacité.

Une deuxième difficulté se situe sur le plan du troisième principe relatif à la justice sociale et à l’équité de la Charte de Bangkok. Plusieurs études ont en effet démontré que la majorité des personnes ayant des incapacités vivent dans un état de pauvreté, particulièrement les femmes, et cela est dramatiquement vrai dans les pays en voie de développement (Alliance féministe pour l’action internationale, 2003; Conseil canadien du développement social, 2002). Ces personnes ont plus difficilement accès à l’éducation et au marché du travail, élément essentiel pour améliorer leurs conditions de vie. La promotion de la santé, en fonction des principes d’équité et de justice sociale, ainsi que des actions visant la lutte à la pauvreté, devrait inclure dans ses préoccupations et appuyer les démarches visant l’égalité des chances pour tous et l’absence de discrimination de toutes natures, incluant celle envers les personnes « différentes ».

Toujours dans la Charte de Bangkok, un troisième élément préoccupant se situe dans la section sur le nouveau contexte de santé, où il est fait mention, entre autre, des changements démographiques, de l’augmentation des maladies chroniques et des traumatismes ainsi que des progrès de la médecine et des technologies. Une des principales conséquences de ces différentes situations est que de plus en plus de personnes vivent avec des incapacités persistantes. En effet, on estime, selon les projections démographiques tirées de l’Enquête sur la participation et les limitations d’activités, que 15% de la population du Canada vivra avec des incapacités persistantes en 2008 et que ce nombre ira en s’accroissant dans les années subséquentes (Statistique Canada, 2001). Ce pourcentage élevé est expliqué principalement par le vieillissement de la population ainsi que par les taux de survie améliorés dans de nombreuses affections et traumatismes, incluant les naissances prématurées, qui causent des incapacités persistantes et significatives avec lesquelles les personnes et leurs proches doivent ensuite composer toute leur vie (Boult, Altmann, Gilbertson, Yu & Kane, 1996). Toutefois, la Charte de Bangkok n’en fait aucunement mention. Cette importante partie de la population devrait donc être davantage une préoccupation pour la promotion de la santé.

Enfin, le dernier volet qui sera discuté ici porte sur le principe général de développement durable, auquel la Charte de Bangkok adhère, appliqué aux différentes pratiques professionnelles dans le domaine de la santé ainsi que dans la recherche en santé. Le système de santé et l’ensemble des professionnels doivent en effet intégrer des principes de développement durable et ne pas considérer qu’ils s’appliquent uniquement à l’industrie ou aux autres secteurs économiques. Le développement durable en santé pourrait signifier de ne pas développer et utiliser des technologies qui offrent des bénéfices à court terme mais qui offrent par contre des désavantages à plus long terme. C’est le cas notamment de l’utilisation des antibiotiques qui augmentent la résistance bactérienne et des interventions visant la survie à tout prix, sans prise en compte des conséquences, comme dans le cas de certains enfants prématurés. Il est certain qu’un tel discours soulève des enjeux éthiques et qu’une réflexion approfondie sera nécessaire pour baliser éventuellement l’application du principe de développement durable à la santé.

Globalement, la Charte de promotion de la santé de Bangkok ressort plutôt comme une application des principes et des valeurs de la Charte d’Ottawa dans le contexte du début de 21ième siècle. Elle ne la remplace en aucune façon et tente d’ouvrir sur l’action. La CIF-2 pourrait-elle servir de cadre de référence pour l’intervention en association avec les Chartes d’Ottawa et de Bangkok qui fournissent les principes et les valeurs? La CIF-2 distingue en effet clairement les cibles d’intervention qui peuvent améliorer la santé des populations dans sa classification. Toutefois, il reste plusieurs étapes à franchir pour harmoniser ces référents théoriques et éventuellement bénéficier de leur synergie. Une des synergies possibles provient du fait que la CIF-2 est abondamment citée et utilisée dans le monde, de même que la Charte d’Ottawa et bientôt celle de Bangkok, mais pas nécessairement auprès des mêmes intervenants et des mêmes organisations. En associant les deux modèles de référence, en faisant valoir leur complémentarité, plus d’intervenants, d’organisations et de réseaux seront ainsi sensibilisés à l’importance des éléments qu’ils véhiculent de part et d’autre (Thibeault & Hébert, 1997). De plus, la promotion de la santé n’est pas un champ de pratique spécifique, mais devrait s’intégrer dans toutes les pratiques professionnelles qui touchent de près ou de loin la santé. Les Chartes d’Ottawa et de Bangkok ne s’adressent donc pas uniquement aux intervenants qui œuvrent strictement en promotion de la santé, pas plus que la CIF-2 ne s’adresse uniquement aux intervenants du monde de la réadaptation. Ces modèles fondamentaux devraient être intégrés dans la formation de base de l’ensemble des disciplines œuvrant en santé.

En conclusion, certaines lacunes dans la Charte de promotion de la santé de Bangkok mériteraient d’être corrigées notamment par la prise en compte des populations ayant des déficiences et des incapacités. Il semble également urgent d’associer les discours de la promotion de la santé et ceux des modèles sur le fonctionnement et le handicap. En effet, ils ciblent en grande partie les mêmes populations et s’appuient sur les mêmes principes fondamentaux, tels la vision positive de la santé et l’action sur les déterminants environnementaux. Chacun gagnerait à explorer la perspective de l’autre. Les discours ont peut-être évolué en parallèle, mais actuellement tous font face aux mêmes réalités et aux mêmes enjeux pour la santé des populations. Des réflexions sur l’arrimage possible des référents théoriques pourraient favoriser la synergie d’intervention dans ces champs de pratique actuellement plutôt distincts, pour le bénéfice des populations.

Note

Ce texte est diffusé dans le cadre d’un projet conjoint RÉFIPS-UIPES (voir l'URL suivant 6/index.htm). Il a été originellement publié par le RÉFIPS à l'URL: http://refips.org/files/ameriques/Lettre_en_ligne_janvier2007.pdf

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Références 

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