Review/2001/1
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Mon utopie, ma charte1

Kadija Perreault, candidate au doctorat en santé communautaire, Université Laval, Québec


Perreault, Kadija, Mon utopie, ma charte, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:11/index.htm.

Étant physiothérapeute de profession, j’ai appris à concevoir la santé à travers le corps. Sans s’y limiter, mon travail de physiothérapeute m’amène à identifier des dysfonctions du corps, qui se traduisent en termes de déficiences physiques, de limitations fonctionnelles, de douleur…, dans le but de les réduire ou de diminuer leur impact sur la vie des individus. Mon entrée récente dans le programme de doctorat en santé communautaire à l’Université Laval m’a amenée à élargir ma conceptualisation de la santé et de ce qui la détermine. J’ai découvert tout un monde de pratiques, d’idées, de valeurs. Le champ de la promotion de la santé se trouve au cœur de mes apprentissages, auxquels ma lecture de la Charte d’Ottawa a grandement contribué (Organisation mondiale de la santé [OMS], 1986). Dans les prochaines lignes, je m’efforcerai d’expliquer, en soulevant deux éléments principaux, pourquoi je considère que la nouvelle Charte pour la promotion de la santé, la Charte de Bangkok (OMS, 2005), me rejoint peu en tant que professionnelle de la santé et étudiante intéressée au champ de la promotion de la santé. Étant donné que seules les conférences d’Ottawa et de Bangkok ont donné lieu à la production d’une charte, et en raison de l’impact majeur qu’a eu la Charte d’Ottawa sur l’émergence de la promotion de la santé, l’établissement de comparaisons entre les Chartes de Bangkok et d’Ottawa s’est imposé tout naturellement.

Deux chartes : une même utopie ?

J’ai l’ambition d’œuvrer dans le domaine de la santé dans le but de changer le monde, à ma façon. Certains pourraient dénoncer ma naïveté, certes! À mes yeux, la Charte d’Ottawa constitue un symbole unificateur important pour tous ceux qui espèrent contribuer à l’amélioration de la santé des populations à travers la promotion de la santé. La valeur symbolique de la Charte d’Ottawa a d’ailleurs été soulignée antérieurement (Aubin, 2005). Comment ne pas avoir espoir en la vie et en l’être humain et en sa capacité d’entraide après la lecture de ce document ? La Charte d’Ottawa incarne une certaine utopie, une utopie devenue nécessaire pour croire en la possibilité d’un monde meilleur, en santé, où les valeurs dominantes sont l’équité, la justice sociale, la quête de la paix… Cette Charte me donne raison de rêver ! Toutefois, lorsque je parcours le texte de la Charte de Bangkok, je ne sens pas le souffle d’espoir qui se dégage lorsque je lis la Charte d’Ottawa. J’y trouve plutôt la crainte, les risques et un discours technocratique qui place la « santé au centre du développement ». J’ai consulté de nombreux commentaires portant sur l’adoption de la Charte de Bangkok. J’y ai senti de la frustration et de la colère, m’invitant à croire que de nombreuses personnes ont un attachement émotif profond envers la Charte d’Ottawa. Personnellement, j’ai l’impression que la Charte de Bangkok parle davantage à l’entrepreneur, au membre de la société civile, au gouvernant, au promoteur de la santé... qu’à l’être humain. Elle nous interpelle en fonction de nos rôles sociaux, au lieu de nous unir sur les bases de nos valeurs communes. Et si la Charte de Bangkok menaçait cet ensemble de croyances, cette conceptualisation idéologique, cette vision utopique, auquel les gens sont si attachés? La Charte de Bangkok invite-t-elle à adhérer à de nouvelles valeurs, cherchant à la fois à rejoindre le secteur privé, les professionnels de la santé et la société civile ? Par exemple, est-il considéré que la promotion de la santé n’ait sa place que si elle est envisagée comme étant essentielle au développement ? Peut-être n’était-il pas suffisant de mentionner dans la Charte de Bangkok que celle-ci « reprend et complète les valeurs, principes et stratégies d’action établis par la Charte d’Ottawa », comme suggéré par Marshall (2005) et Phipps (2005) ?

Mondialisation et professionnels de la santé

Bien que la Charte d’Ottawa demeure pertinente et essentielle, je crois que l’adoption d’une nouvelle charte servira à générer une réflexion sur la promotion de la santé en regard des nouveaux enjeux auxquels font face les individus et les populations en ce début de millénaire, notamment le thème de la mondialisation. Cependant, l’espace accordé à ce thème dans la Charte de Bangkok m’apparaît trop important et je me questionne sur la façon dont il a été abordé. D’abord, il m’apparaît que les rédacteurs de la Charte présentent la mondialisation comme arrière-plan à l’intérieur duquel s’inscrit la promotion de la santé. La promotion de la santé devrait-elle être actualisée à la lumière de ce méta-contexte qui s’accompagne de conséquences positives et négatives, ce que la Charte insinue (OMS, 2005)? Pour ma part, je crois que, tout en tenant compte des phénomènes liés à la mondialisation (cela est inévitable), il aurait peut-être été plus utile de recadrer la promotion de la santé autrement. Peut-être en fonction d’un portrait de santé global plus détaillé, reflétant effectivement des changements liés à la mondialisation? Ou bien, dans la foulée des autres documents produits lors des conférences internationales de promotion de la santé précédentes, en mettant en valeur une stratégie d’intervention liée à la promotion de la santé, telle que les politiques publiques favorables à la santé (OMS, 1998) ?

Je conçois, du moins partiellement, la mondialisation comme un véritable épiphénomène qui se manifeste à des niveaux supérieurs, dans une réalité éloignée de celle des professionnels de la santé (bien qu’il puisse être débattu que cela est de moins en moins vrai). Mon observation n’est d’ailleurs probablement pas étrangère au fait que les professionnels de la santé manifestent généralement peu d’intérêt envers des sujets plus « politiques » (O’Neill et coll., 2006). Néanmoins, l’omniprésence du thème de la mondialisation dans la Charte de Bangkok crée à mes yeux une certaine distance entre le professionnel et la promotion de la santé. En tant que professionnelle, la mondialisation m’obligerait-elle à intervenir en promotion de la santé à un niveau supérieur ? De plus, la faible place accordée à la participation et à l’implication des communautés, comme mentionné par d’autres auteurs (Arwidson, 2005 ; Ridde, 2005), combiné au fait que la nouvelle charte ne rappelle pas clairement le besoin d’adapter les interventions de promotion de la santé aux contextes locaux, contribue à susciter chez moi une vision « macro » de l’intervention en promotion de la santé décrite dans la Charte de Bangkok. Cet élément explique en partie le fait que je me sente peu interpellée par cette Charte. Or, tous les groupes d’acteurs impliqués dans le champ d’intervention et de recherche qu’est la promotion de la santé, incluant les professionnels de la santé, devraient-ils pouvoir se sentir « parties prenantes » du contenu de la Charte de Bangkok ?

Note

Ce texte est diffusé dans le cadre d’un projet conjoint RÉFIPS-UIPES (voir l'URL suivant 6/index.htm). Il a été originellement publié par le RÉFIPS à l'URL: http://refips.org/files/ameriques/Lettre_en_ligne_janvier2007.pdf

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Références 

Arwidson, P. (2005) Synthèse du forum francophone sur la préparation de la Charte de Bangkok. Reviews of Health Promotion and Education Online. URL: reviews/2005/7/index.htm (page consultée le 11 janvier 2006).

Aubin, K. (2005) Chartes, déclarations, recommandations: quelle est la portée de ces documents en promotion de la santé? Reviews of Health Promotion and Education Online. URL: reviews/2005/15/index.htm (page consultée le 11 janvier 2006).

Marshall, B. (2005) Proposed Bangkok Charter for Health Promotion. Site internet du listserv CLICK4HP, [En ligne]. York University. Message diffusé le 22 juin 2005. URL: https://listserv.yorku.ca/archives/click4hp.html (page consultée le 24 février 2006).

O’Neill, M., Gagnon, F., Dallaire, C. (2006) La politique, les politiques, le politique : trois manières d’aborder l’action politique en santé communautaire. Dans : Pratiques en santé communautaire. Caroll, G. (dir.). Éditions de la Chenelière Éducation; Montréal, p. 111-126. http://www.cheneliere.ca/cheneliere/catalog.do?action=product&fromsearch=1&&currentSection=0&currentSubSection=1&currentSubject=67&currentProduct=52844

Organisation mondiale de la santé. (2005) La Charte de Bangkok pour la promotion de la santé à l’heure de la mondialisation. Site de l’Organisation mondiale de la santé, [En ligne]. URL: http://www.who.int/healthpromotion/conferences/6gchp/BCHP_fr.pdf (page consultée le 11 janvier 2006).

Organisation mondiale de la santé. (1998) Adelaide Recommendations on health public policy. Site de l’Organisation mondiale de la santé, [En ligne].
URL: http://www.who.int/healthpromotion/conferences/previous/adelaide/en/print.html (page consultée le 11 janvier 2006).

Organisation mondiale de la santé. (1986) Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. Site de l’Organisation mondiale de la santé, [En ligne]. URL: http://www.euro.who.int/AboutWHO/Policy/20010827_2?PrinterFriendly=1&language=French (page consultée le 27 février 2006).

Phipps, R. (2005) More on HP Bangkok Charter. Site internet du listserv CLICK4HP, [En ligne]. York University. Message diffusé le 18 juin 2005. URL: https://listserv.yorku.ca/archives/click4hp.html (page consultée le 24 février 2006).

Ridde, V. (2005) Une triple interrogation à propose de la Charte de Bangkok. Reviews of Health Promotion and Education Online.
URL: reviews/2005/9/index.htm (page consultée le 11 janvier 2006).


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