Review/2001/1
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Charte de Bangkok : L’économie mondiale comme partenaire de la promotion de la santé ?1

Laurence Guillaumie, candidate au doctorat en santé communautaire, Université Laval, Québec


Guillaumie, Laurence, Charte de Bangkok : L’économie mondiale comme partenaire de la promotion de la santé ?, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:12/index.htm.

La Charte de Bangkok, signée le 11 août 2005 en Thaïlande, s’est inscrite dans la continuité du processus de constitution du champ de la promotion de la santé. La Charte de Bangkok spécifie qu’elle « reprend et complète les valeurs, principes et stratégies d’action établis par la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé et les recommandations des conférences ultérieures sur la promotion de la santé dans le monde » (Organisation mondiale de la santé, 2005). Ainsi, cette nouvelle charte n’a pas pour objectif de remplacer ou de réformer la Charte d’Ottawa - cette dernière restant le socle fondamental de la promotion de la santé - mais de traiter d’une autre dimension de la promotion de la santé. La Charte de Bangkok vise à donner les moyens à tous les acteurs de la promotion de la santé (acteurs politiques aux niveaux des États ou des régions, professionnels de santé, promoteurs en santé, agences des Nations-Unis, secteur privé, ONG, etc.) d’implanter la promotion de la santé dans le contexte actuel de globalisation (Catford, 2005). Je conviens que la dynamique politique à l’origine du choix du format de « charte » pour ce document est tout à fait discutable (Mittelmark, 2005). Cependant, je choisis de m’interroger dans cet article sur le contenu même de la Charte de Bangkok et des changements dans la conception de la promotion de la santé qu’elle entérine, à savoir la réaffirmation de la dimension politique de la promotion de la santé et l’encouragement des liens avec le milieu des affaires.

Une réaffirmation de la dimension politique de la promotion de la santé

La Charte de Bangkok définit « les mesures et les engagements nécessaires pour agir sur les déterminants de la santé par la promotion de la santé à l’heure de la mondialisation » (Organisation mondiale de la santé, 2005). Cette charte propose d’intégrer à la pratique de la promotion de la santé les nouveaux défis en lien avec le contexte politique et économique actuel. Nous savons que la promotion de la santé intervient au niveau politique depuis ses débuts et que certains la considèrent politique par essence (Bambra, Fox, Scott-Samuel, 2005). Par conséquent, la recherche et la pratique en promotion de la santé doivent s’engager dans les actions politiques et en utiliser les moyens (comme le lobbying, la communication, la négociation, la rédaction d’accords et de chartes, l’organisation d’interventions etc.) en impliquant la société civile, les professionnels de la santé, les acteurs politiques, les ONG, les entreprises etc. Cette dimension politique avait déjà été abordée dans des déclarations précédentes notamment celles de Jakarta et de Mexico. La Charte de Bangkok réaffirme la dimension politique de la promotion de la santé et redonne ainsi de la légitimité aux différents acteurs pour s’en approprier cet aspect.

La Charte de Bangkok insiste aussi sur l’importance de la participation de la société civile dans les processus politiques sous-tendant les actions de promotion de la santé. Cette charte invite les acteurs communautaires et la société civile à exercer des pressions pour faire de la promotion de la santé un axe essentiel de leur action. Cela est d’autant plus important qu’une pression peut s’exercer plus facilement au niveau local car les effets de la politique sont mieux visibles (Kickbusch, Draper, O’Neill, 1990). Cela rappelle que c’est grâce à l’adhésion de la population à des orientations politiques qu’une décision peut être rendue acceptable. Cela suggère aussi qu’une décision politique ne peut s’avérer efficace qu’avec un relais et une implantation par les acteurs de terrain.

Une attention renforcée donnée aux milieux d’affaires

L’innovation de la Charte de Bangkok porte cependant principalement sur l’attention donnée au milieu des affaires et à sa responsabilité vis-à-vis de la santé des groupes les plus pauvres et marginalisés. Cela rejoint une tendance initiée depuis plusieurs années par l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. En 1999, Kofi Annan a proposé aux entreprises le « Pacte Global » (Global Compact en anglais) destiné à rassembler les entreprises autour de dix principes relatifs aux droits de l'homme, aux normes du travail, à l'environnement et à la lutte contre la corruption. Depuis, il n’a cessé d’encourager la collaboration de l’ONU avec le monde des affaires et la signature de pactes avec les entreprises (United Nations News Centre, 2005).

La conception sous-jacente à la Charte de Bangkok est que les entreprises et les acteurs de la promotion de la santé ont intérêt à collaborer et que les entreprises peuvent tirer des avantages en termes d’images et de communication en s’impliquant pour l’application des principes de la promotion de la santé. La Charte de Bangkok en reste à des principes et les différentes voies d’actions dans ce domaine doivent être soumises à l’étude. Parmi ces voies d’action, on peut distinguer les suivantes. Les promoteurs en santé pourraient par exemple fournir aux entreprises qui s’engagent l’accès à des informations et des exemples de bonnes pratiques. Ils pourraient aussi s’inspirer d’expériences menées dans des domaines parallèles, comme avec la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement ou la signature de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (Organisation mondiale de la santé, 2005).

La Charte de Bangkok vient soutenir l’idée que les interventions de promotion de la santé réalisées en partenariat avec le milieu des affaires ne se limitent pas aux entreprises transnationales mais se réalisent jusqu’aux niveaux locaux. La constitution de réseaux au niveau des petites et moyennes entreprises peut encourager l’adoption de politiques et de pratiques favorables aux principes de la promotion de la santé. Ces réseaux peuvent permettre aux employeurs de se réunir et d’échanger leurs expériences. Concrètement, cela peut donner lieu à des campagnes d’information sur la promotion de la santé, l’organisation de séminaires de formation sur les principes de la promotion de la santé et la mise à disposition d’une assistance aux entreprises pour l’application de ces principes (Organisation internationale du travail, 2005).

Si les relations entre les entreprises et le secteur de la promotion de la santé sont encouragées, il n’empêche qu’elles doivent faire l’objet d’une attention minutieuse. Cela est d’autant plus vrai que certaines grandes entreprises s’impliquent avec des budgets colossaux dans des activités sociales et humanitaires comme la Fondation Bill et Melinda Gates ou encore la Fondation Chagnon.

Les implications d’un tel repositionnement de la promotion de la santé

Dans le contexte actuel, cette charte invite à revoir les liens entre la promotion de la santé et l’économie, et donne aux promoteurs en santé de grands principes cadres pour guider leur action. Cette charte est la bienvenue dans le sens où la promotion de la santé ne pouvait faire l’économie d’un repositionnement dans le contexte de mondialisation. Cependant, on peut émettre quelques réserves quant à ses implications.

Tout d’abord, il est à craindre que la Charte de Bangkok mette l’emphase sur des partenariats avec les entreprises qui existent déjà et non sur une expertise basée sur des données probantes qui restent encore à développer. De plus, le dialogue et les relations de partenariats avec le milieu des affaires risquent de passer pour une solution miracle alors qu’ils permettent surtout aux entreprises d’identifier les bonnes pratiques pour plus d’efficacité.

Ensuite, si on propose de développer les mécanismes d’engagement volontaire des entreprises pour la promotion de la santé, il faut veiller à poser la question du respect et de la crédibilité de ces engagements et donc de soulever la question des avancées juridiques en ce qui concerne les responsabilités, en particulier des entreprises transnationales, en matière de santé.

Enfin, il ne faudrait pas que les partenariats avec les entreprises incitent les États à une nouvelle façon de fuir leurs obligations en les renvoyant aux entreprises dont le but initial est le profit. Les engagements des entreprises ne sauraient se substituer à la responsabilité des pays à prendre des mesures de protections sociales. On sait déjà qu’il est souvent plus confortable et commode pour les États de fuir leurs responsabilités envers les plus démunis et les politiques sérieuses d’éradication de la misère (Galbraith, 1985).

La Charte de Bangkok repositionne donc la pratique de la promotion de la santé, en rapport avec les acteurs politiques, les ONG et les milieux d’affaires dans le contexte de libéralisme et de mondialisation. Certains pourraient regretter que la Charte de Bangkok ne définisse pas plus la responsabilité des entreprises en matière de santé, ne détaille pas le rôle des États pour réguler l’activité des entreprises et ne clarifie pas les pratiques de dialogue et de négociation des acteurs de la promotion de la santé avec les entreprises. En fait, cette charte ne fait qu’encourager à travailler dans cette direction. Elle invite non seulement à interroger nos pratiques sur le terrain en lien avec milieu politique et économique mais aussi au développement et à l’évaluation de nouvelles formes de gouvernance et de solidarités dans un contexte de mondialisation. C’est à tous ceux et celles qui se sentent concernés par la promotion de la santé d’investir ce champ et de participer à l’essor d’une expertise. La Charte de Bangkok en reste à des principes mais offre l’avantage de pousser à la réflexion. Les stratégies d’action dans le cadre de la mondialisation reste encore à inventer et ce, chacun à un notre niveau et dans notre contexte de pratique.

Note

Ce texte est diffusé dans le cadre d’un projet conjoint RÉFIPS-UIPES (voir l'URL suivant 6/index.htm). Il a été originellement publié par le RÉFIPS à l'URL: http://refips.org/files/ameriques/Lettre_en_ligne_janvier2007.pdf

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Références 

Bambra, C., Fox, D. & Scott-Samuel, A. (2005). Towards a politics of health. Health promotion international, 20(2), 187-194. URL: http://heapro.oxfordjournals.org/cgi/content/full/20/2/187

Catford, J. (2005). The Bangkok Conference: steering countries to build national capacity for health promotion. Health promotion international, 20(1), 1-6. URL: http://heapro.oxfordjournals.org/cgi/content/full/20/1/1

Galbraith, J.K. (1985). L’art d’ignorer les pauvres. Harper’s magazine, nov. 1985.

Kickbusch, I., Draper, R., O’Neill, M. (1990). Healthy public policy, a strategy to implement the Health for all philosophy at various govermental levels, in Evers, W. et al (Ed.), Healthy Public Policy at the local level (pp. 1-6): Boulder, Co : Campus Westview.

Mittelmark, M.B. (2005). Bangkok charter: criticizing but backing WHO. RHP&EO
Extrait du site web du RHPEO le 10 février 2006 : URL: reviews/2005/22/index.htm

Organisation Mondiale de la Santé. (2005, août), Charte de Bangkok. Extrait du site web de l’Organisation Mondiale de la Santé le 10 février 2006 : URL: www.who.int/entity/healthpromotion/ conferences/6gchp/BCHP_fr.pdf

Organisation Internationale du Travail. (5 octobre 2005). Coopération Technique. Extrait du site web de l’Organisation Internationale du Travail le 10 février 2006 : URL: http://www.ilo.org/public/french/employment/multi/project.htm

United Nations News Centre. (8 mars 2005). Annan welcomes work of Global Compact in South Asia to reach development goals. Extrait du site web de l’Organisation des Nations Unis le 10 février 2006: URL: http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=13574&Cr=global&Cr1=compact


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