Review/2001/1
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Utilisation d’une méthode de consultation citoyenne et démocratique dans le cadre d'un processus d'aide à la décision en santé publique: la méthode de conférence de consensus informé

par Pierre De Coninck, Ph. D., Professeur agrégé, Université de Montréal, Professeur associé, CIRAIG, Université de Montréal & Michel Séguin, Ph. D., Consultant en environnement et en développement social, Chercheur, GRIMS, Université de Montréal


De Coninck, Pierre & Michel Séguin, Utilisation d’une méthode de consultation citoyenne et démocratique dans le cadre d'un processus d'aide à la décision en santé publique: la méthode de conférence de consensus informé, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:16/index.htm.


Après avoir présenté les principaux éléments d’une nouvelle façon de consulter le citoyen, telle qu’énoncée en atelier en après-midi lors du symposium des JASP 2006 sur la Charte d’Ottawa, nous offrons ici quelques retombées de notre atelier.

Introduction

Le citoyen «ordinaire»[1] est-il un simple consommateur de biens et de décisions ou bien est-il un acteur qui peut se rendre responsable de ces actions? Les citoyens individuels peuvent-ils être conçus comme des acteurs sociaux au même titre que le sont les autres intervenants collectifs, c'est-à-dire les experts et les décideurs? Quels moyens allouer aux citoyens? Doit-on préférer la démocratie directe (citoyen acteur social) à la démocratie élective (citoyen individu), c'est-à-dire permettre aux personnes susceptibles d'être affectées par une décision de prendre part à cette décision ou bien les laisser déléguer aux représentants élus le pouvoir de prendre cette décision? La légitimité du droit du public à être consulté et à participer est acquise dans nos type de sociétés (Parenteau, 1988; CSQ, 1993; TRNEE, 1993; Renaud, 1994; Séguin, De Coninck & Tremblay, 2005). Seules l'étendue et la forme du pouvoir citoyen de contrôle et de suivi des décisions constituent encore matières à débat. 

À titre d'exemple, deux secteurs illustrent cette nécessité d'impliquer le citoyen: le premier en environnement, le second en santé publique. En 1986, la Commission Brundtland (1987) a redéfini l'encadrement de justification de tout projet en mettant de l'avant la notion de «développement durable».  Depuis lors, il est souhaité que toute décision concilie l'économie avec le respect de l'environnement et du bien-être de la société. De plus, toujours selon Brundtland, le respect de l'équité s'applique à plusieurs niveaux, soit entre les générations, entre les régions et entre les sociétés. Enfin, la qualité du développement sera privilégiée à sa quantité dès que le respect de la nature et de ses ressources, d’un environnement sain et du droit des générations de vivre seront concernés.  Le secteur de l’environnement pose donc à sa manière comment, pour qui et pourquoi une décision se prend.

La santé publique, quant à elle, reconnaît que la santé des populations, d'une part, est intimement liée à leurs conditions de vie et, d'autre part, qu'elle dépend d'une multitude d'interventions évoluant tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la sphère traditionnelle du domaine de la santé, c'est-à-dire dans l'éducation, l'emploi, les loisirs, l'économie, l'environnement, etc. Dès lors, là aussi, il importe de reconnaître la contribution de divers types de partenaires avec lesquels les intervenants et les décideurs devraient transiger afin de soutenir les groupes, les communautés et les individus dans la réalisation de leurs ambitions, la satisfaction de leurs besoins et la confrontation avec les défis que posent leurs milieux. Selon cette perspective, bien caractérisée dans la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (OMS, 1986), la santé est une ressource de la vie quotidienne et implique une certaine émancipation des individus afin que ces derniers puissent développer leur capacité à vivre pleinement. Pour assurer les conditions permettant cette émancipation, les intervenants et les décideurs doivent alors tenter de connaître davantage les attentes, les besoins et les compétences des gens et du milieu. Et cette connaissance ne passera véritablement que par l'établissement de liens de partenariat et de relations d'échange, au-delà du schème traditionnel du professionnel pourvoyeur unidirectionnel de services.

Démocratiser les processus décisionnels

Une démocratisation du processus décisionnel suppose la diversité des intérêts et des idées. Mais elle ne se limite pas à l'ouverture de structures de consultation et de participation des citoyens ordinaires afin qu'ils puissent décider ou confirmer le choix d'une solution proposée par les décideurs (Freire, 1980; 1998). Elle peut également envisager leur implication dès la première étape de l'action et, par conséquent, permettre la considération par l'ensemble des intervenants de ce qui « fait problème ». À ce niveau, les valeurs, les intérêts et les expériences de chacun peuvent jouer un grand rôle. 

La consultation doit être comprise non pas seulement comme un outil d’aide à la décision mais également comme un nouvel espace potentiel de changement social. Selon Hamel, la consultation « participe d’une manière directe à la transformation des rapports sociaux et des rapports de pouvoir » (Hamel, 1997, p. 418), un point de vue partagé par plusieurs autres auteurs (Callon, Lascoumes & Barthes, 2001, par exemple). Toutefois, pour que la consultation puisse jouer son rôle, elle ne doit pas se limiter à bien paraître sur papier ou au sein d’une institution. Comme l’explique Theys (2003, p. 23): « Tous les efforts en matière de ‘design institutionnel’ risquent cependant de s’avérer insuffisants s’ils ne s’accompagnent pas, parallèlement, d’un certain nombre d’actions visant à mieux équilibrer les rapports de forces entre parties prenantes ». C’est dans ce contexte que l’on peut maintenant mieux comprendre la question suivante : pourquoi le consensus informé?

Le consensus informé

Selon Morel (2000), le consensus informé :

se situe dans un processus mondial de mise en question des enjeux scientifiques et techniques. Depuis une dizaine d’années, une trentaine de conférences de consensus informé ont eu lieu dans douze pays (...) Ce mode de participation du public n’est du reste pas le seul qui ait été récemment expérimenté. (p. 805)

La formule de la consultation par «consensus informé» est apparue néanmoins et ce rapidement comme permettant un haut degré de participation et de responsabilisation des citoyens ordinaires dans un processus portant sur une problématique qui les concerne (Roqueplo, 1997). En effet, elle implique une démarche progressive de délibération où alternent réflexion personnelle, échanges en petit groupe ainsi que dialogue avec des personnes-ressources et le public avant qu'une position finale ne soit prise, et ce, de façon indépendante (De Coninck et al. 1997; De Coninck et al.,1999). Ce processus permet d'incorporer dès le début une participation civique aux décisions professionnelles et politiques, lesquelles sont traditionnellement structurées selon un processus à huis clos. Il est, en fait, un dérivé des conférences de consensus (conference consensus development) qui furent appliquées pour la première fois en 1977 aux États-Unis par le National Institute of Health (Fink, Kosecoff, Chassin & Brook, 1984; Andreasen, 1988). 

Cette technique de consultation est perçue comme renouvelant le concept de forum démocratique (Roqueplo, 1997, citant Donnet-Kamel, 1996). D'un point de vue plus général, la consultation par consensus informé constitue un outil qui entre dans les actions globales d'évaluation. Les recommandations qui ressortent d'un tel exercice n'ont pas force de loi ni de règlements. Elles se définissent comme des aides à la décision pour les décideurs. Elles peuvent donc contribuer à un renforcement d’adhésion vis-à-vis un mouvement en émergence, ou encore,  agir comme un cadre de référence, mettant en relief les éléments caractérisant la décision elle-même; mais elles ne peuvent prétendre se substituer aux processus décisionnels. L'approche par consensus informé cherche à dépasser l'addition des jugements individuels d'experts pour lui substituer un jugement collectif d'une communauté concernée pour déterminer la valeur d'usage de la solution évaluée (Giraud & Jolly, 1991).  Il s'agit avant tout d'un jugement de groupe, dont chacun des éléments a été instruit, informé; et c'est principalement ce qui lui confère sa source de légitimité. 

Le consensus informé demande à des citoyens qui n’ont pas d’intérêt direct vis-à-vis la problématique sous étude 3?4 après une prise de connaissance des éléments de base de la problématique sur laquelle ils sont consultés 3?4 de déterminer les questions, de choisir (seuls ou avec d’autres) les experts auxquels ces questions seront formulées, de diriger les débats et finalement, de dresser une synthèse par le biais d’un rapport rédigé par leurs soins.  Le consensus informé donne une voix aux citoyens et permet d’entretenir un débat informé sur des problématiques spécifiques et complexes les concernant d’une façon ou d’une autre (De Coninck et al., 1997).

La conférence de consensus informé se situe obligatoirement en amont du processus décisionnel des décideurs (élus, industriels) afin de les éclairer.  Comme dans la majorité des résultats de consultation, le décideur qui refuse de suivre les conseils ou encore qui en fait sien, doit défendre et justifier son choix.  Avec le consensus informé, ce choix fait dorénavant partie d’un espace social plus large de par la contribution citoyenne spécifique à ce type de consultation.

Le consensus informé renverse donc l’approche traditionnelle de rapport entre l’expert/commissaire et le citoyen. En effet, d’une certaine manière, le citoyen devient le commissaire du processus et les experts doivent défendre leur point de vue face au citoyen, ce qui n’est pas la façon habituelle de procéder.

Un processus d'aide à la décision démocratique ayant pour objectif de maximiser le potentiel d'atteinte d'un consensus social concernant un programme, une politique ou un projet local devrait chercher à impliquer au moins les principaux intervenants au processus de décision et de gestion en fonction des objectifs énoncés. Il conviendrait donc de regrouper non seulement les décideurs, les experts et les porteurs d’enjeux mais aussi les groupes communautaires et les citoyens ordinaires, car ces derniers seront affectés directement ou indirectement par la décision finale. Selon cette perspective encore peu usitée, l'acceptabilité sociale repose sur l'acceptabilité d'une définition commune des enjeux et des intérêts en présence plutôt que sur le choix d'une solution spécifique, définie préalablement par des experts et des décideurs à la suite d'un processus tenu à huis clos et duquel les fondements décisionnels sont rarement explicités; l'approche traditionnelle apparaît donc ici comme plaçant de facto le citoyen en position de réaction et d'opposition. En impliquant le citoyen plus en amont dans le processus décisionnel, un tel cadre de concertation déplacerait le citoyen vers un statut de partenaire et non plus forcément de client, qui ne peut qu'adhérer ou s'opposer. 

La conférence de consensus informé enrichit les choix économiques et technoscientifiques par des considérations sociales et environnementales. Elle contribue de ce fait à élargir les connaissances et l’espace social entourant un processus de prise de décision. Le comité citoyen exprime des critères de conception, de contexte ou de choix qui lui apparaissent prioritaires à considérer pour les décisions à venir. Ce faisant, elle contribue à l’élaboration des bases d'un processus de collaboration et d'échange entre des partenaires pour ainsi formuler soit des plans d'action, soit des solutions appropriées, ou même des projets locaux.

Le projet même de consulter les citoyens et de les impliquer dans un processus d'information-consultation et participation au processus décisionnel n'est donc pas sans incidence et n'est pas neutre. De par la nature combinatoire des actions entreprises, il est probable que toute consultation de ce type générera des «effets de débordement» (Callon, 1997) non prévisibles au moment de sa réalisation. Ainsi, le consensus informé constitue un outil de choix afin de contribuer à la résolution de problèmes multidimensionnels écologiques, économiques, technologiques et sociaux (TRNEE, 1993).

Conclusion

Quelles ont été les réactions et les retombées de notre présentation du consensus informé aux JASP? Il y a eu d’abord un énorme intérêt de la part des participants à l’atelier. Il y a eu ensuite une participante de la France qui a souhaité « mettre en pratique la version québécoise » de cette approche dès son retour. Une consultante a approché les auteurs afin de donner suite à une éventuelle utilisation de cette approche dans un quartier de Montréal afin de déterminer des priorités d’investissement en santé communautaire. Des professionnels de la santé publique ont demandé aux conférenciers s’ils accepteraient de représenter cette conférence devant leurs responsables hiérarchiques. Des rencontres ont également eu lieu avec un bureau de consultation publique en vue d’explorer ce type d’alternative. Enfin, la préparation d’un guide pratique de mise en œuvre, prévu pour le printemps 2007, et qui pourrait certainement intéresser les participants-es à la conférence de Vancouver, devrait aider à diffuser encore davantage cette nouvelle façon de consulter, permettant ainsi d’aider à maximiser la solidarité sociale en vue de relever des défis au sein des milieux de la santé publique et des enjeux environnementaux.


[1] Rappelons que ce citoyen est qualifié de «ordinaire» parce qu’il n’a pas d’intérêt direct vis-à-vis la problématique sous étude.

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Références 

Andreasen, B. (1988). Consensus conferences in different countries. International Journal of Technology Assessment in Health Care, 4, 305-308.

Brundtland, G.H. (1987). Our Common Future. Oxford: Oxford University Press. URL: http://www.oup.com/us/catalog/general/subject/Economics/International/?view=usa&ci=9780192820808

Callon, M. (1997, 12 juin).  Exploration des débordements et cadrage des interactions: la dynamique de l'expérimentation collective dans les forums hybrides.  Séminaire du programme risques collectifs et situations de crise.  Actes de la huitième séance, Grenoble. 

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