Review/2001/1
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Pour une réactivation de la promotion de la santé : une approche basée sur les droits économiques, sociaux et culturels

Christine Vézina LL.B, maîtrise en droit international, DESS aide humanitaire, doctorante en droit,  Centre de recherche en droit public, Université de Montréal.


Vézina, Christine, Pour une réactivation de la promotion de la santé : une approche basée sur les droits économiques, sociaux et culturels, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:22/index.htm.

«Utopian ideas are the bed-rock of human rights»

Paul Farmer

Introduction

J’évolue dans le domaine de la lutte contre le sida depuis 2003. J’y occupe deux rôles distincts. Celui d’employée de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (la « COCQ-Sida » ou la « Coalition »), où je suis responsable de la recherche sur les droits de la personne et le VIH; et celui de chercheure en devenir, en tant que doctorante en droit, affiliée au Centre de recherche en droit public de la faculté de droit de l’Université de Montréal. Mon sujet de thèse porte sur les liens entre les droits économiques, sociaux et culturels et la prévention du VIH-sida. C’est sous cette double identité que j’ai participé aux activités des 10es journées annuelles de santé publique (les « JASP ») en octobre 2006. 

Alors que mon engagement communautaire m’a entraînée vers les ateliers qui portaient sur la santé des populations vulnérables et que mes préoccupations de recherche m’ont plutôt conduite vers les ateliers relatifs aux politiques publiques, les présentations du symposium intitulé La Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé est-elle toujours utile pour la pratique de santé publique d’aujourd’hui ? ont interpellé tant l’étudiante que la travailleuse communautaire. Voilà qui témoigne d’une force importante et centrale du concept de promotion de la santé : sa forte horizontalité permet un passage, un pont, entre les disciplines, entre les professions, entre les modes d’intervention.

Éléments d’une réflexion critique sur ma participation au symposium

En filigrane des diverses présentations fort intéressantes sur le concept de promotion de la santé, se trouvait une idée commune et transversale restée innommée au cours du symposium. Celle du besoin de respect, de protection et de mise en œuvre des droits de la personne, et plus particulièrement des droits économiques, sociaux et culturels. De nombreux auteurs, provenant tant du domaine de la santé publique que du droit, ont d’ailleurs démontré qu’il existe une complémentarité, voire même une synergie entre les politiques de santé et les droits de la personne (Gostin et Lazzarini, 1997; Mann, Gruskin et Annas, 1998).

Santé publique vs droits économiques, sociaux et culturels

Or, le langage des droits de la personne est peu présent en santé publique au Québec. S’il existe, il porte surtout sur les droits civils et politiques et est encore peu axé sur les droits économiques, sociaux et culturels (les « droits ESC »). Dans une perspective de promotion de la santé, ces droits pourraient pourtant permettre, sous réserve de dépasser le stade de leur stricte reconnaissance formelle, de conceptualiser des actions à des niveaux macro et horizontal, pour entraîner des modifications structurelles ayant un impact positif sur les facteurs de vulnérabilité et les déterminants de la santé.  

Le silence sur ces questions, lors du symposium sur la charte d’Ottawa, dans les présentations ayant précisément porté sur les politiques favorables à la santé (à l’exception de l’expérience du Collectif pour un Québec sans pauvreté, qui, au demeurant, n’est pas un acteur de santé publique stricto sensu), témoigne d’ailleurs peut-être de la faible reconnaissance de ces liens à promouvoir de facto entre la normativité des droits ESC et les diverses normativités cohabitant dans le champ de la santé publique.

Le concept de promotion de la santé place les acteurs de santé publique et les politiciens à l’interface des visions biomédicale, épidémiologique, sociale, économique et culturelle de la santé. Loin toutefois de n’impliquer qu’une reconnaissance de l’impact des déterminants sociaux, économiques et culturels de la part des acteurs de santé publique et des politiciens, le concept de promotion de la santé implique que ces derniers agissent en vue d’une possible reconstruction des environnements. Cela suppose nécessairement, comme il l’a d’ailleurs été présenté lors du symposium, de travailler de manière décloisonnée en considérant l’ensemble des forces qui interagissent au sein de la société.

Comment alors mobiliser les acteurs de santé publique, comment peuvent-ils développer des stratégies de plaidoyer afin de susciter la volonté politique nécessaire aux actions structurelles et horizontales que requiert le concept de promotion de la santé ? À cet égard, l’hypothèse d’une approche basée sur les droits ESC semble intéressante à explorer.   

Une approche de la promotion de la santé basée sur les droits ESC permet en effet d’envisager les déterminants sociaux, économiques et culturels sous l’angle de droits individuels et collectifs. Perçus ainsi, la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’accès aux soins de santé et aux programmes de prévention, l’éducation, le travail ou encore la discrimination à l’égard d’individus appartenant à certains groupes, peuvent prendre la forme de droits subjectifs que l’État doit respecter, protéger et mettre en œuvre. Ces obligations lui incombent notamment, tant en vertu des Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés que du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

De l’importance de l’advocacy

Dans le contexte d’une telle approche, la technique du plaidoyer, souvent désignée sous son expression anglaise d’advocacy dans les milieux de santé publique, prend tout son sens. Les acteurs de santé publique peuvent dès lors, en s’associant notamment aux groupes actifs en matière de défense et de promotion des droits de la personne, réclamer des élus d’affecter des budgets à la réalisation de ces droits. Il ne s’agit plus simplement alors d’évoquer les valeurs de justice sociale chères aux québécoises et québécois mais bien d’inscrire le discours dans un cadre juridique reconnu et d’exiger de passer à l’action. La force mobilisatrice des droits de la personne peut favoriser un décloisonnement de la santé publique. Mobilisés autour d’un langage commun qui transcende les professions, les spécialités, les affiliations intellectuelles, les différents acteurs de la société trouveraient peut-être enfin les moyens de communiquer véritablement, le tout, dans le but ultime de permettre à tous les citoyens d’avoir accès à la santé et à la dignité humaine.

De nombreuses organisations de la société civile appliquent une approche basée sur les droits ESC à leurs actions. C’est le cas du Collectif pour un Québec sans pauvreté qui a présenté lors des JASP, la démarche originale empruntée pour revendiquer l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, finalement adoptée par l’Assemblée Nationale en 2002. Cet exemple démontre également le pouvoir d’auto-habilitation des approches basées sur les droits de la personne. Ce courant est aussi émergent dans le secteur de la lutte contre le VIH-sida au Québec. Il peut y avoir, dans ces idées neuves, des influences à saisir par les acteurs de santé publique.

L’approche basée sur les droits de la personne, y compris les droits ESC, se situe au cœur même de la mission de la COCQ-sida. Le conseil d’administration y voit l’expression d’une vision humaniste de la lutte contre le sida traduisible en actions concrètes (Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida, 2006). Depuis ma participation au symposium, je suis convaincue que nous ne sommes pas seuls à chercher des façons nouvelles de conceptualiser les déterminants de la santé pour améliorer la qualité de vie des citoyennes et des citoyens du Québec. Les réflexions partagées au symposium ont indubitablement influencé mon travail. Dans mon analyse des problématiques liées au VIH-sida, je ne considère plus l’approche basée sur les droits de la personne isolément. Je lui donne plutôt une nouvelle force pragmatique en la liant au concept de promotion de la santé et aux dispositions de la Charte d’Ottawa afin de jeter un regard neuf sur les manières d’envisager des changements aux déterminants de la santé. C’est d’ailleurs sur la base de ce cadre d’analyse « dualiste » que mes collègues et moi avons revu, en collégialité et de manière décloisonnée, notre programmation pour les années 2007 et 2008.   

Conclusion

Le comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies chargé de l’analyse du rapport de suivi du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels déposé par le Canada en 2006 a pour une troisième fois, depuis le premier rapport de suivi déposé par le Canada en 1993, fait savoir au gouvernement canadien que la pauvreté importante qui sévit au pays est injustifiable compte tenu de la richesse du Canada. Le comité d’experts blâme l’État canadien « pour son manque de respect en matière de droits économiques, sociaux et culturels et lui recommande d’intégrer ces droits dans ses stratégies de réduction de la pauvreté » (Gauvreau, 2006). Le Québec, à qui il incombe de réaliser une bonne partie des droits économiques, sociaux et culturels, en vertu du partage des compétences, reste aussi silencieux sur ses engagements (Gauvreau, 2006).

Partant de la prémisse que la pauvreté est un des facteurs qui accentue la vulnérabilité à différents problèmes de santé, comme le reconnaît expressément le Programme national de santé publique 2003-2012 du Québec (Cardinal, Massé et Gilbert, 2003), les juristes, activistes, politiciens et acteurs de santé publique peuvent-ils envisager en commun, une santé publique ouverte sur les droits de la personne, et plus particulièrement sur les droits économiques, sociaux et culturels? 

Dans ce contexte, j’aimerais transmettre le message suivant en vue de la 19e Conférence mondiale de l’UIPES. Face au constat d’un certain essoufflement du concept de promotion de la santé au Québec, au Canada et au niveau international depuis les années 1994 (O’Neill, Dupéré, Pederson, et Rootman, 2006), des réflexions et des démarches relatives aux enjeux des droits ESC pourront-elles réussir à mobiliser les acteurs de santé publique autour du concept de promotion de la santé, dont la pertinence est malheureusement toujours aussi nécessaire en 2007, compte tenu des injustices et de l’exclusion qui sévissent encore?  Et inversement, si les problématiques de santé publique pénètrent la normativité des droits de la personne, ce phénomène pourra-t-il entraîner dans le sillon des droits économiques, sociaux et culturels, une « solidarité pragmatique » (Farmer, 2004) ayant le pouvoir de favoriser une plus grande effectivité de ces droits?

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Références

Cardinal, L., Massé, R., & Gilbert, L. (2003). Programme national de santé publique, 2003-2012. Québec: Ministère de la santé et des services sociaux, Direction des communications. PDF: http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2002/02-216-01.pdf

Coalition des organismes communautaires de lutte contre le sida. (2006). Synthèse des discussions de la journée du 9 septembre.  Rencontre de travail du conseil d’administration et des permanent-e-s de la Coalition des organismes communautaires de lutte contre le sida. Duchesnay: non publié.

Farmer, P., & Gastineau,  N. (2004). Rethinking Health and Human Rights: Time for a Paradigm Shift. In S. Gruskin, M.A. Grodin, G.J. Annas, &  S.P., Marks (Eds.), Perspectives on Health and Human Rights (pp. 73-94). New York: Routledge. URL: http://www.routledge.com/shopping_cart/products/product_detail.asp?sku=&isbn=9780415948074&parent_id=&pc=/shopping_cart/search/search.asp?

Gostin, L.O., & Lazzarini, Z. (1997). Human Rights and Public Health in the AIDS Pandemic. New York: Oxford University Press. URL: http://www.oup.com/uk/catalogue/?ci=9780195114423

Gauvreau, C. (2006). Entrevue. Droits humains : Le Canada n’est pas au dessus de tout soupçons. Journal L’UQAM, XXXIII, 3. Consulté le 24 janvier 2007, URL: http://www.uqam.ca/entrevues/2006/e2006-005.htm.

Mann, J.M., Gruskin, S., Grodin, M., A., & Annas, G.J. (1998). Health and Human Rights: A Reader. New York: Routledge.

O’Neill, M., Dupéré, S.,  Pederson, A., & Rootman, I. (2006). La promotion de la santé au Canada et à l’étranger : bilan et perspectives. In  M. O’Neill, S. Dupéré, A. Pederson & I. Rootman (Eds.), Promotion de la santé au Canada et au Québec, perspectives critiques (pp. 3-21). Lévis, Québec: Les presses de l’Université Laval. URL: http://www.pulaval.com/catalogue/promotion-sante-canada-quebec-perspectives-critiques-8936.html


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