Review/2001/1
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Santé publique et pauvreté

Micheline Bélisle, Collectif pour un Québec sans pauvreté et Isabelle Laurin, Direction de la santé publique de Montréal-Centre


Bélisle, Micheline & Isabelle Laurin, Santé publique et pauvreté, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:28/index.htm.

1. Nature de notre participation

Lors du symposium sur la Charte d’Ottawa des 10es Journées annuelles de santé publique à Montréal en octobre 2006, nous étions trois conférencières à participer à l'atelier intitulé « Des approches participatives inspirantes pour la pratique en santé publique: le Projet AVEC et le Programme des services intégrés en périnatalité ». L'une des ces participantes était en situation de pauvreté.

- Contenu et déroulement de l'atelier

Élisabeth Germain et Micheline Bélisle du Collectif pour un Québec sans pauvreté ont commencé par une mise en situation faisant ressortir le caractère inadéquat d'une approche POUR plutôt qu'AVEC dans le domaine de la santé. Après avoir recueilli les réactions des gens à ce jeu de rôles, Élisabeth a procédé à l'élaboration d'un budget à partir du montant minimum actuel à l'aide sociale, soit 543 $/mois pour les prestataires sans contrainte sévère à l'emploi. Les gens, avec 543 $ en poche, étaient invités à prendre une bouteille de médicaments dans laquelle était enfermée une dépense possible à budgéter; ils avaient ensuite à déterminer s'ils se permettaient cette dépense ou s'ils se la refusaient. Par exemple, choisissaient-ils d'aller à l'épicerie ou de payer la franchise de leurs médicaments? Puis, Micheline a présenté le projet AVEC du Collectif et le Comité AVEC qui sert en quelque sorte de comité de suivi du projet.

Nous avons ensuite discuté de l'approche AVEC et de la pratique conscientisante qui s'y rattache. Précisons que l'approche AVEC, telle qu'utilisée au Collectif,  consiste essentiellement à amener toute personne en autorité (intervenantEs, décideurEs, etc.) et la population en général à prendre l'habitude de Penser, Décider et Agir AVEC les personnes en situation de pauvreté en les considérant d'abord comme les premiers acteurs de leur vie. La pratique conscientisante qui s'y rattache consiste à considérer la pauvreté comme un problème de société plutôt qu'individuel et,    conscientise les participantEs à leur oppression, au fait qu'ils ou elles ne sont pas les seulEs à la vivre et les amène à une prise de pouvoir d'agir sur leur situation problématique. Dans l'approche AVEC, comme dans la pratique conscientisante, le travail se fait AVEC les participantEs pour transformer leurs problèmes en solutions dans une logique plus sociopolitique  que psychologique, tout en n'excluant pas celle-ci.

Après discussion sur l'essence de l'approche AVEC et une transition vers la pratique conscientisante, Isabelle Laurin, chercheure dans l’équipe Tout-Petits, familles et communautés à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre a enchaîné en discutant d’une pratique plus spécifique de l'AVEC. Elle a présenté sa démarche de recherche participative « Pères et mères en contexte de vulnérabilité », effectuée en appui aux Services intégrés en périnatalité et petite enfance, à l’intention des familles vivant en contexte de vulnérabilité (SIPPE). La démarche de Mme Laurin repose sur le postulat de base que, placées dans des circonstances favorables, les personnes en situation d’oppression sont en mesure de donner un sens à leurs actions et aux circonstances qui affectent leur vie. En quelque sorte, l’action doit leur permettre de sortir d’une posture aliénante et ouvrir la porte à une démarche qui permet de « réfléchir sa trajectoire » et de mieux se réapproprier son expérience sociale. Un contexte de groupe est propice à une telle démarche parce qu’il crée un espace de participation sociale qui suppose « un travail sur soi autant que travail avec les autres ». (Laurin et al., à paraître). Mme Laurin a mis en lumière les limites rencontrées dans ce type de démarche (impliquant les parents directement concernés par les SIPPE), notamment auprès des collègues et des décideurs, de même que les aspects positifs.

En conclusion, les différences (limites et avantages) de l'Action POUR et l'Action AVEC ont été mises en évidence et nous avons interrogé les gens sur la pertinence de l'utilisation d'une mise en situation comme exercice dans l'approche conscientisante.

2. Réflexion critique sur notre participation

-  Actualité de la Charte d’Ottawa

La Charte d’Ottawa (Organisation mondiale de la santé, 1986) s'avère de plus en plus actuelle étant donné les écarts qui ne cessent de grandir entre riches et pauvres, car selon cette charte, axée sur la promotion de la santé, on ne peut y arriver sans viser l'égalité tant entre hommes et femmes, qu'entre les individus qui doivent bénéficier des mêmes ressources et des mêmes possibilités pour réaliser leur potentiel santé. De plus, cette charte est particulièrement actuelle dans sa conception de la santé qui tient compte des ambitions et des besoins des individus dans un milieu où ils ont à évoluer et à s'adapter. Ici, la notion d'équilibre est omniprésente. Elle est également actuelle dans l'approche socio-écologique qu'elle suggère, individus et milieux étant inextricablement liés comme en témoigne la possibilité de bénéficier de conditions de vie et de travail sûres, stimulantes, plaisantes et agréables.

- Défis pour l'avenir

Les défis qui se posent à la santé publique pour l'avenir, sont notamment de l'ordre de la concertation des différents acteurs du milieu, soit les gouvernements, le secteur de la santé, les domaines sociaux et économiques connexes, les organismes bénévoles, les autorités régionales et locales, l’industrie, ainsi que les médias. Tous et toutes savent que les intérêts de certains groupes et individus entrent facilement et souvent en conflit les uns avec les autres. Même si la vision de la santé est commune, les moyens pour la réaliser diffèrent.

L’adoption d’une approche holistique de la santé et des stratégies pour concrétiser cette définition de la santé est également un défi. Il ne s'agit pas seulement de concevoir hommes et femmes comme des associés égaux dans les stratégies à mettre en place, mais aussi de concevoir des stratégies où personnes en situation de pauvreté et personnes bien nanties bénéficient des mêmes ressources et des mêmes possibilités pour vivre en santé. Ceci n'est pas donné, les inégalités de santé se traduisant souvent par la maladie, d'une part, et la santé florissante, d'autre part. Comment amener personnes en situation de pauvreté et personnes bien nanties vers un même terrain, une même vision, une même définition en ce qui concerne la santé pour en arriver à mettre en place des stratégies qui pourront améliorer et maintenir des conditions de vie favorables à la santé de tous?

Quant aux engagements face à la promotion de la santé manifestés dans la Charte, trois d'entre eux apparaissent particulièrement comme des défis à relever, soit:

  • « combler les écarts de niveau de santé dans les sociétés et lutter contre les inégalités produites dans ce domaine par les règles et pratiques des sociétés »;
  • « reconnaître que les individus constituent la principale ressource sanitaire, les soutenir et leur donner les moyens de demeurer en bonne santé, eux, leurs familles et leurs amis »; « accepter la communauté comme le principal porte-parole en matière de santé, de conditions de vie et de bien-être »;
  • « reconnaître que la santé et son maintien constituent un investissement social majeur et traiter la question écologique globale que représentent nos modes de vie ». (Organisation mondiale de la santé, 1986, p. 4-5).

3. Les réactions à l’exposition : "Objet" : Pauvreté

En plus d’avoir co-organisé l’atelier mentionné plus haut, le Collectif a pu installer son exposition itinérante « Objet : Pauvreté » dans la salle réservée aux exposants et aux  communications affichées. Beaucoup de participantEs au symposium sont venuEs s'informer sur le sens de cette exposition, ses origines, la façon dont elle s'était constituée, etc. de même que sur le Collectif lui-même.

Cette exposition, différente et originale par rapport aux éléments proposés dans la salle a servi, entre autres, à mettre en relief le lien entre pauvreté et santé, lien fait d'inégalités menant à la maladie, la fragilité des conditions de vie des personnes en situation de pauvreté et leur propension à la maladie bien plus qu'à la santé.

4. Retombées depuis notre participation à ce Symposium

Participer à ce symposium a permis pour nous une plus grande sensibilisation à une vision globale de la santé et à la préoccupation du maintien de l'équilibre entre les différents facteurs intervenant sur le plan de la santé des individus, soit les facteurs économiques, sociaux, culturels, biologiques, environnementaux, politiques et comportementaux.

Loin d'enterrer la Charte, nous la trouvons importante dans sa propension à inspirer nos gouvernements tant fédéral que provinciaux et les autorités tant régionales que locales à globaliser leur vision de la santé, à en faire une priorité dans leurs programmes respectifs et à concevoir que conditions de vie et santé sont inextricablement liées. La Charte peut aussi servir de chien de garde à la promotion de la santé auprès de ces gouvernements et de ces autorités. Elle présente également un certain intérêt pour la recherche en milieu de santé en suggérant l'importance de la prise en compte des inégalités sociales dans l'intervention médicale.

5. Message à transmettre à la conférence de Vancouver

Nous considérons qu’il ne faut pas oublier dans la planification et les stratégies de mise en place de services de santé que les premières personnes concernées par les inégalités de santé sont les personnes en situation de pauvreté.  

Nous pensons qu’il faudrait miser davantage sur la recherche participative en santé publique. La démarche de recherche présentée par Isabelle Laurin démontre que le chemin parcouru avec les parents participants illustre avec éloquence combien les conditions à mettre en place pour favoriser le bien-être des familles vulnérables et appauvries sont d’abord de l’ordre du passage à l’action dans les communautés. Cela implique un dialogue ouvert, courageux et continu entre les parents concernés et les acteurs du milieu qui participent à bâtir l’intervention et les politiques publiques, ainsi que la mise en place de conditions organisationnelles favorables à des modalités d’intervention qui peuvent bousculer  la logique de programme habituelle (Laurin et al., à paraître).

Aussi, nous souhaitons une plus grande ouverture de la part des décideurs à réfléchir aux pratiques et aux politiques, voire à les modifier, à partir de résultats de recherche impliquant la participation des personnes qui sont concernées par les programmes mis de l’avant par la santé publique. L’usage des données probantes est une tendance actuelle forte dans le domaine de la gestion des programmes, notamment en matière de santé publique à cause de son affiliation au champ biomédical, ce qui entraîne une résistance à l’égard des résultats provenant de la recherche qualitative.

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Références 

Organisation mondiale de la santé. (1986). Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. Genève: Organisation mondiale de la santé. URL: http//www.euro.who.int/AboutWHO/Policy/20010827_2?language=French

Laurin, I., René J-F., Dallaire, N., & Ouellet, F. (à paraître). Mères et pères en contexte de vulnérabilité : une démarche de recherche participative. In H. Dorvil (Ed.), Problèmes sociaux. Tome 3

 


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