Review/2001/1
RHP&EO is the electronic journal of the
International Union for Health Promotion and Education

Home ] [ IUHPE ] Our Mission ] Editorial Board ] [ Contributors ] Papers ] [ IJHP Papers ]

L'utilisation de formules pédagogiques alternatives dans le cadre du symposium sur la Charte d'Ottawa des journées annuelles de santé publique du Québec (JASP) 2006: de l’intention à la réalisation.

Sophie Dupéré, candidate au doctorat en santé communautaire, Université Laval, Québec et Évelyne Pedneault, étudiante en droit, Université Laval, Québec ; ancienne permanente, Collectif pour un Québec sans pauvreté, Québec.[i]


Dupéré, Sophie & Évelyne Pedneault, L'utilisation de formules pédagogiques alternatives dans le cadre du symposium sur la Charte d'Ottawa des journées annuelles de santé publique du Québec (JASP) 2006: de l’intention à la réalisation, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:31/index.htm.

Le symposium sur la Charte d’Ottawa, qui a eu lieu le 25 octobre 2006 dans le cadre des 10es Journées annuelles de santé publique du Québec (JASP, 2006), a été brièvement décrit dans un texte de la présente série de RHP&EO par O’Neill et coll. (2006) et les principaux éléments de contenu ayant émergé de la journée, dans un autre écrit de cette même série (Perreault et Forster, 2007). Le présent article a pour objectif de présenter une description et une brève analyse du cadre pédagogique mis en place pour la réalisation du programme de ce symposium. Dans la première partie de cet article, nous présentons le contexte dans lequel s’insérait le symposium. Nous détaillons ensuite, dans une deuxième partie, les moyens et les processus mis en place afin de faciliter la participation des participantEs. Enfin, nous discutons brièvement des principales leçons que nous avons tirées de cette expérience.

Le contexte du Symposium sur la charte d’Ottawa

Le 10e anniversaire : une mouture spéciale pour les JASP 2006

Le comité organisateur des JASP souhaitant souligner de manière particulière le 10e anniversaire de ces journées en 2006, un symposium d’une journée de réflexion autour de la Charte d’Ottawa a été organisé. Celui-ci devait servir de point pivot, en plein milieu de la semaine (mercredi le 25 octobre), pour l’ensemble des participantEs, alors que d’autres symposiums visant des clientèles plus spécifiques se déroulaient les lundi-mardi (23 et 24 octobre) et jeudi-vendredi (26 et 27 octobre).

Pour ce faire, certaines consignes de la part des organisateurs des JASP ont été communiquées aux responsables du symposium sur la charte d’Ottawa et au comité scientifique ayant travaillé à sa mise en place. Ce comité, composé d’onze personnes[ii], regroupait des gens provenant de différents horizons, tant sur le plan du lieu de travail que du type d’expériences. Les quatre principales consignes étaient:

  • Étant donné le 10e anniversaire, l’événement se voulait de plus grande envergure que les journées de santé publique habituelles. La programmation proposée devait non seulement susciter l’intérêt de tous les types d’acteurs en santé publique au Québec (et pas seulement des gens intéressés par la promotion de la santé), mais aussi viser une clientèle canadienne et internationale plus large (le nombre de participants souhaités était d’au moins 1000 personnes).
  • L’événement se voulait spécial et unique; le souhait était donc exprimé d’introduire des éléments novateurs dans la programmation.
  • La programmation devait respecter l’orientation et les critères de formation continue qui caractérisent les JASP.
  • Enfin, la journée se voulait un lieu de croisements entre les acteurs de la santé publique (chercheurEs, décideurEs, praticienNEs), mais aussi avec d’autres groupes partenaires généralement moins présents, notamment les groupes communautaires.

Lors de la première rencontre du comité scientifique, en utilisant des techniques d’animation particulières afin de se mettre dès le départ dans le genre d’esprit que les responsables du symposium souhaitaient créer, nous avons demandé à chacunE des participantEs quel était le rêve qu’il/elle entretenait pour cette journée que nous avions à organiser. Voici quelques-unes des réponses alors offertes : « trouver des façons de mettre en valeur ce qu’on fait localement », « nous mettre en relation avec le reste du monde », « créer des dialogues avec des personnes d’horizons différents », « …, faire que les personnes sortent de cette journée et se sentent inspirées », « discuter du comment, de comment on peut concrètement intégrer la promotion de la santé aux pratiques », etc. La très grande majorité des idées véhiculaient l’importance d’une participation active, d’une prise de position d’échange et non seulement d’écoute. Nous devions donc prendre les moyens appropriés pour y arriver. Ainsi, en sus des consignes générales reçues des organisateurs, le comité de notre symposium s’est alors doté, dès le début de sa démarche, de balises pour le guider dans la planification de la journée:

  • Sur le plan de la programmation :

1.     avoir une programmation ancrée dans la pratique;

2.     tendre vers une journée interactive qui favorise les échanges et la participation plutôt que du transfert de connaissances, ce qui supposait de prévoir des temps d’interaction significatifs avec les participantEs et des formules pédagogiques allant dans ce sens;

3.     partager connaissances et pratiques, mais aussi en apprendre de nouvelles;

4.     avoir une programmation scientifique rigoureuse;

5.     inclure des formats pédagogiques habituels/classiques et moins habituels/alternatifs;

6.     rassembler, susciter/ stimuler l’innovation et la créativité par la réflexion critique.

  • Sur le plan des conférenciers/animateurs :

1.     tendre vers la parité hommes-femmes;

2.     favoriser les échanges intergénérationnels, entre jeunes voix et voix plus expérimentées, notamment en invitant des conférenciers de différentes « générations » ;

3.     tendre vers une représentation de divers milieux de pratique (communautaire, institutionnel, politique, recherche) et niveaux d’instances (locales, régionales, nationales, internationales).

Le travail de planification du contenu de cette journée s’est étalé sur environ un an et a été effectué en constante interaction avec le grand comité scientifique des JASP, lui-même composé d’une diversité de personnes provenant de divers types de milieux, et avec la permanence des JASP. Notre comité scientifique a également bénéficié des suggestions et commentaires des responsables des 13 autres symposiums que comprenait cette 10e édition des JASP, qui ont été consultés afin d’assurer un arrimage maximal de notre journée avec les autres activités scientifiques de la semaine. Finalement, les contenus des différents blocs d’activités du symposium ont été élaborés en interaction avec les conférenciers et responsables des ateliers. Parallèlement à tout ce travail de définition du contenu de la programmation scientifique, s’est déroulée la réflexion sur le « comment», sur les différentes formules pédagogiques à proposer pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés.

Ce que signifiait pour nous le défi de ce symposium

Les orientations énoncées plus haut étaient en phase avec nos croyances et expériences professionnelles et personnelles. Pourquoi croyait-on que les participantEs sortiraient gagnantEs d’un colloque différent? Pourquoi faire de cette journée un moment d’échanges et de croisements plutôt que de retenir les formules plus traditionnelles de transfert des connaissances?

D’abord, même si elles demeurent encore peu utilisées comme stratégies d’intervention en santé publique, nous avons pu expérimenter depuis plusieurs années la réelle efficacité de formules pédagogiques développées avec une approche d’éducation populaire dans divers contextes d’échanges et d’apprentissages.  Le Québec est en effet le terrain, depuis plusieurs décennies, de pratiques dans ce domaine aussi intéressantes qu’inspirantes qui ont obtenu des résultats pour le moins concluants: voir par exemple le Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ) au www.mepacq.qc.ca/ , le Regroupement en éducation populaire et action communautaire au www.repac.org/ ou encore le Projet AVEC au Collectif pour un Québec sans pauvreté au www.pauvrete.qc.ca. Il est par ailleurs reconnu qu’une personne apprend davantage lorsqu’elle est impliquée activement dans ses apprentissages (Organisation Mondiale de la santé, 1990; Freire, 2001; Groupe de recherche Quart Monde-Université, 1999), ce qu’Arnold et al., traduisaient en 1991 par la formule suivante : nous ne retenons généralement qu’environ 20 % de ce que nous entendons, 30 % de ce que nous voyons, 50 % de ce que nous entendons et voyons, 70 % de ce que nous entendons, voyons et discutons et 90 % de ce que nous entendons, voyons, discutons, et expérimentons !

Ensuite, l’introduction de telles méthodes respectait et honorait le caractère sans frontière des connaissances qui était justement le thème retenu des JASP 2006. L’éducation populaire vise, entre autres, à développer la conscience critique citoyenne; elle comprend des pratiques qui visent l’émancipation de même que la transformation sociale et politique[iii]. Le cadre envisagé, si efficace soit-il, n’était pas « innocent » ni dénudé de volonté politique (Freire, 2001). Utiliser des méthodes d’éducation populaire dans le cadre d’une conférence est en soi affirmer que chaque participantE a un savoir utile et nécessaire à l’évolution des connaissances et des pratiques dans notre domaine. Notre comité scientifique aurait pu choisir de préparer un symposium constitué principalement de conférences plénières et de formules pédagogiques axées sur des modes de transfert de connaissances plus classiques menés par des expertEs actifVEs auprès de récipientEs ditEs moins expertEs et passifVEs. Les choix faits par le comité sous-tendent au contraire que les améliorations que nous recherchons dans notre domaine passent par la participation active de chacunE. Pour ce faire, il faut se doter de moyens qui permettent l’expression de tous et toutes, qui favorisent la communication des observations et enseignements que chacunE peut tirer de sa pratique quotidienne quel que soit son milieu (institutionnel, communautaire, universitaire etc.).

Finalement, l’essence même de la Charte d’Ottawa nous invitait à favoriser des méthodes participatives. Ne peut-on pas y lire dès les premières lignes que « la promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer. Pour parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social, l’individu, ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter » (Organisation mondiale de la santé, 1986, p. 1). Difficile eu égard à ces lignes d’organiser une journée sur cette Charte sans démontrer de réelle volonté d’entendre les personnes qui y viennent, sans leur offrir une occasion d’identifier, individuellement et collectivement, où ils en sont dans leurs pratiques d’intervention. La manière d’organiser ce symposium reflétait donc selon nous un choix vers l’amélioration concrète des pratiques de même qu’un choix « politique » de valorisation et de croisements actifs de divers types de savoirs. Il fallait nous assurer que les moyens mis en place durant la conférence allaient permettre d’atteindre les objectifs fixés à tous les niveaux, à la fois par le comité organisateur, le grand comité scientifique des JASP et le comité scientifique de notre symposium.

Stratégie générale et moyens mis en oeuvre

Stratégie générale de cueillette d’information

Attendu le cadre évoqué plus haut, le comité scientifique du symposium a souhaité avoir un moment rassembleur afin d’y réunir touTEs les participantEs en fin de journée pour tenter de répondre de manière interactive aux grandes questions soulevées. La programmation a donc été élaborée de manière à ce que chaque bloc d’activités (voir tableau 1, colonne 1) soit lié au suivant de façon à converger vers le « clou » de la journée : l’activité « Droit de parole » animée par  Robert Perreault avec la participation de la troupe de théâtre Mise au jeu.

Il restait à réfléchir à une stratégie pour recueillir systématiquement la parole des participantEs durant les autres activités de la journée (la plénière d’ouverture, les cinq sous plénières, les vingt ateliers) et trouver une façon de la colliger pour la retransmettre. Différents mécanismes ont donc été retenus et nous avons créé une stratégie de synthèse, alimentée par des « rapporteurs d’ateliers » et des « journalistes ». Une trentaine d’étudiantEs, provenant principalement des programmes gradués en santé communautaire des Universités de Montréal, Laval et Toronto, ont assumé ces rôles bénévolement avec, en échange, l’occasion d’élargir leurs connaissances et leurs réseaux. La figure 1 résume graphiquement la stratégie de cueillette et d’intégration de la parole des participantEs durant la journée.

Figure 1 : Le cadre général de la journée

Les moyens mis en oeuvre

En partant de cette architecture générale de cueillette et d’intégration, nous avons ensuite défini, pour chaque segment de la journée, une série d’activités pour lesquelles des formules pédagogiques précises ont été proposées afin de maximiser l’expression des participantEs. Le tableau 1 les résume.

Tableau 1 : Les formules pédagogiques retenues

Blocs de la journée

Brève description des formules pédagogiques

Objectifs des formules pédagogiques

 

L’activité « Petit déjeuner »

·       Discussion informelle en petits groupes (8-10 pers) dans le cadre d’un petit-déjeuner convivial autour de thèmes d’actualité prédéfinis (1 thème par groupe – en tout 30 thèmes).

·       Chaque groupe est  accompagné d’unE animateur-trice et d’unE auteurE d’ouvrages récents sur la question.

·       Une animation légère pour accueillir et clore l’activité et s’assurer de la répartition de la parole.

·       Approfondir un thème d’actualité en santé publique et en promotion de la santé par le biais d’échanges et à partir de diverses perspectives.

·       Favoriser les croisements entre savoirs et pratiques.

·       Favoriser le développement de réseaux professionnels et personnels.

 

Ouverture de la journée

·    Une scénette de la troupe de théâtre Mise au jeu.

·    Une présentation classique par les co-présidents des JASP.

·    Donner un ton différent à la journée, sous le signe de l’humour mais aussi du « réfléchir autrement ».

·    Situer le thème et les objectifs de la journée dans le cadre de l’ensemble du programme.

 

Conférence d’ouverture

 

·    Conférence plénière par Michel O’Neill.

·    Deux cartons, un rouge et un vert, remis à tout le monde en début de séance.

·    Deux « écrivainEs publics-ques » ayant la tâche de prendre des notes tout au long de la séance, d’une part sur le contenu et d’autre part sur le non-dit, les réactions des participantEs.

·    Transfert de connaissances.

·    Favoriser une certaine participation des personnes en leur permettant de s’exprimer en votant avec les cartons. Leur utilisation a permis tout de même de « situer la salle » sur quelques questions fondamentales.

·    Transmettre les grandes idées de contenu et de l’ambiance à nos « grands rapporteurs » en vue de la séance de clôture, le « Droit de parole ».

 

Panel

 

·    Panel de trois conférencierÈREs sous le format de table ronde à partir de questions préalablement envoyées aux conférenciers (sans période d’échange avec la salle) avec un animateur.

·     Deux écrivainEs publics-ques.

·     Cartons de vote.

 

·    Adopter un format dynamique de plénière. L’animateur de la table ronde relançait les panélistes afin qu’ils répondent dans les temps

·    Idem (voir ci-dessus)

·    Idem (voir ci-dessus)

Pause

Des journalistes bénévoles, annoncés et identifiés, offraient un espace de parole aux participantEs dans les aires communes.

Leur questionnaire simple et court comportait trois questions : 1- La Charte d’Ottawa est-elle utile pour la pratique en santé publique? 2- Est-elle à jour? Et 3- Autres commentaires?

·    Recueillir la parole des participantEs sur le contenu de la matinée, sur les réflexions que cela avait pu soulever en vue du droit de parole.

·    Stimuler la participation des personnes

Une murale fut installée dans la salle où les personnes prenaient leur pause. On pouvait y lire deux questions : « 1- Quels sont les défis pour l’avenir de la santé publique? et 2- Comment faire face à ces défis? En quoi la Charte d’Ottawa est-elle utile pour ce faire? » Les gens furent invités à répondre à ces questions par une phrase, un dessin, une citation, une histoire, etc.

·    Créer un espace d’expression collective afin d’inciter au développement de contenu, autrement. L’idée était de mettre à la disposition des participantEs un espace d’expression différent, de faire appel à d’autres façons de contribuer au développement de contenu de la journée.

 

 

 

Expo : Objet pauvreté!

Installée dans la salle des communications affichées et de pause, cette exposition itinérante du Collectif  pour un Québec sans pauvreté inclut des dizaines d’objets apportés par des personnes de tout le Québec pour exprimer ce que ça veut dire vivre la pauvreté.

·    Favoriser les « connaissances sans frontière » en faisant appel à des méthodes non traditionnelles de développement et de transfert des connaissances sur les déterminants de la santé.

 

 

 

Cinq séances parallèles

 

·    Division des participantEs en 5 sous plénières selon les stratégies de la CO.

·    Animateur invité à prendre une part active dans la modération des débats et trois panélistes dans chaque plénière provenant de divers milieux de la santé publique (recherche, prise de décision et pratique).

·    Cartons de vote.

·    Deux écrivainEs publics-ques

·    Division en 5 sous plénières afin de: a.  diminuer le nombre de participantEs dans chacune des activités b. rapprocher les gens de leurs intérêts.

·    Tendre vers une représentativité des milieux présents en santé publique et favoriser les croisements de savoir.

·     Idem (voir ci-dessus)

·     Idem (voir ci-dessus)

Dîner

Parcours guidé des affiches en lien avec le thème du jour.

Mettre en valeur les communications affichées.

 

 

 

20 Ateliers simultanés

·    20 ateliers

·    Un travail particulier fut fait avec les responsables des ateliers afin de susciter l’utilisation de méthodes pédagogiques moins classiques et participatives.

·    Devait allouer au moins 50% de l’atelier à un temps d’échange avec les participantEs

·    UnE écrivainE public-que

·       Le nombre d’ateliers avait été pensé non seulement afin de couvrir le plus large éventail possible d’intérêts relativement aux enjeux actuels de santé publique, mais aussi afin de limiter le nombre de participantEs dans chacun de manière à favoriser les échanges.

·       L’idée était de les sensibiliser à l’importance d’utiliser différentes méthodes.

·       Favoriser la participation active.

·       Idem (voir ci-dessus)

 

 

L’activité « Droit de parole »

 

Session interactive « Droit de parole », animée par Robert Perreault avec la contribution de la troupe de théâtre Mise au jeu et de huit panélistes issus du monde de la santé publique.

À partir du matériel recueilli dans la journée, nous avons défini pendant la pause midi les éléments à retenir pour chacun de 4 grands thèmes  qui avaient été prédéterminés. Chaque thème fut développé en segments: 1. une courte scène théâtrale afin de rapporter les réponses offertes par les participantEs 2. discussion du thème par un ou des membres du panel 3. réactions de la salle 4. synthèse finale par l’animateur

·       Interaction dynamique en grand groupe

·       Effectuer une synthèse « autrement ». Pour y arriver, nous avons mis à contribution les différents moyens déployés tout au long de la journée pour recueillir les interventions des participantEs, de même que des panélistes, qui se voulaient de « grands témoins » de la journée. L’animateur et la troupe Mise au jeu ont eu un rôle central à jouer afin d’intégrer les informations et les véhiculer de manière interactive avec le panel et la salle.

·       Deux caméras suivaient le tout afin d’en transposer les images directement sur écran géant pour que les participantEs puissent suivre visuellement le détail des débats.

Voici comment ces activités permettaient de poursuivre certains des objectifs pédagogiques de la journée que s’était fixé notre comité scientifique:

a)     Objectif de favoriser une participation active des personnes : Nous avons tenté d’inclure un espace pour l’expression des personnes partout à travers la programmation de la journée. Nous avons en particulier misé sur une série d’ateliers en après midi qui permettrait aux participantEs de se retrouver en plus petits groupes et d’échanger activement. Même dans les formules pédagogiques du matin qui laissaient peu ou pas de place aux participantEs (la conférence plénière et les cinq sous plénières), nous avons introduit le carton de vote qui leur permettait un minimum d’expression et nous avons incité les conférencierÈREs à solliciter l’opinion des personnes par ce moyen. Nous avons également mis en place deux mécanismes qui, pendant les pauses du matin et du midi, permettaient de recueillir l’opinion des personnes : les « journalistes » et la murale.

b)    Objectif de porter la parole des participants jusqu’à l’activité de fin de journée : Nous avions prévu des écrivainEs publics-ques dans chaque activité (plénière, sous plénière, atelier) qui ont rempli une fiche en lien avec ladite activité et qui ont effectué un rapport verbal à un grand rapporteur. Nous avions également des journalistes qui ont recueilli les propos d’une cinquantaine de participantEs et qui ont effectué un rapport verbal à une grande rapporteuse. Nous avions finalement une murale où les personnes étaient invitées à s’exprimer tout au long de la journée. L’animateur de l’activité « Droit de parole », Robert Perreault, a ainsi pu préparer le contenu de son animation (des questions et des thèmes à aborder) sur place, la journée même, en collaboration avec ces grands rapporteurs qui l’ont alimenté des propos des participantEs. La troupe de théâtre a fait de même pour la préparation finale de ses scénarios.

c)      Objectif de sortir des cadres d’apprentissages habituels et de favoriser la reconnaissance du caractère sans frontières des connaissances : Nous avons conçu le petit déjeuner des auteurEs pour permettre des apprentissages dans un autre type cadre. Il s’agissait en fait de démontrer la possibilité de tenir une activité scientifique rigoureuse dans un cadre convivial (déjeuner-causerie) à travers le croisement des savoirs des participantEs, incluant unE auteurE, sur un sujet donné.

Un autre exemple d’activité entreprise pour atteindre l’objectif de favoriser la reconnaissance de divers types de savoirs concerne les efforts soutenus que nous avons déployés pour favoriser la présence du milieu communautaire. En plus d’avoir fortement encouragé la présence d’affiches provenant de groupes communautaires auprès des organisateurs des JASP, d’avoir travaillé sur un appel de communications affichées adapté et d’avoir diffusé activement cet appel dans les canaux de communication des groupes communautaires, nous avons invité le Collectif pour un Québec sans pauvreté à présenter, son exposition « Objet : Pauvreté ». L’idée de cette exposition est simple. Elle réunit des centaines d’objets que des gens ont apportés suite à l’appel suivant du Collectif : Quel objet signifie pour vous ce que ça veut dire vivre la pauvreté et expliquez pourquoi vous l’avez choisi? Sous un mode différent du mode scientifique, elle est très révélatrice des liens qui existent entre pauvreté et santé, enseignement tout à fait en phase avec la Charte d’Ottawa et ses «prérequis pour la santé». Comment mieux illustrer que par cet exemple la multitude de possibilités qui s’offre à nous lorsque nous nous permettons d’explorer d’autres modes d’apprentissages ?

Que dire également de la contribution du théâtre à la réflexion de la journée à travers le travail de la Troupe Mise au jeu invitée? En lien avec l’idéal de savoir sans frontière, nous avons fait le pari de faire réfléchir autrement, à travers l’humour des membres de la troupe. C’était une autre manière de dynamiser la journée et de stimuler le côté droit du cerveau des participantEs, favorisant en particulier celles et ceux qui apprennent davantage par d’autres types de mécanismes.

Conclusions : qu’avons-nous appris à travers ce processus ?

En tant que principales responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre de la stratégie pédagogique du symposium, nous souhaitons d’abord souligner combien cette expérience fut positive et enrichissante sur les plans personnel et professionnel. Ce fut indéniablement une occasion d’apprentissage pour nous, tant du point de vue de l’organisation d’événements de grande envergure que de celui du thème de la journée. Nous en retirons aussi une meilleure compréhension de l’univers québécois de la santé publique, de ses acteurs et de leurs cultures. Nous avons œuvré au sein d’un comité scientifique formidable et avons bénéficié de l’apport des équipes scientifiques et organisationnelles des JASP qui nous ont soutenues de façon continue dans les démarches. Une superbe équipe de bénévoles dynamiques et généreux de leur temps s’est également jointe à nous pour la mise en œuvre des activités. Les leçons que nous pouvons, et pourrons encore, tirer de cette expérience sont multiples. Chacune des formules pédagogiques décrites précédemment pourrait, par exemple, être analysée plus à fond afin d’en dégager des pistes de recommandations.

En guise de conclusion, nous avons tenté d’identifier l’apprentissage qui nous a semblé le plus important à communiquer à d’autres groupes qui souhaiteraient organiser un événement en santé publique en s’inspirant de processus d’éducation populaire. Après mûres réflexions et un peu de recul, la leçon qui nous semble la plus importante à partager est qu’il faut apprendre à justifier de façon rigoureuse ce type d’approche, face aux divers types d’acteurs œuvrant en santé publique et à leurs partenaires afin d’en venir à une plus grande acceptation et utilisation de ces méthodes.

Lors de la préparation de ce symposium, nous avons été au cœur de la rencontre de diverses cultures universitaires, institutionnelles et communautaires. Nous avons dû ainsi apprendre à naviguer à travers les rapports de force qui façonnent ces diversités culturelles et à composer avec l’étonnante palette d’intérêts des acteurs impliqués de près ou de loin dans notre journée. Notre comité scientifique n’avait pas « carte blanche » et ne pouvait piloter comme bon lui semblait l’organisation de la journée car elle s’insérait dans un événement plus vaste avec des traditions et des façons de faire qui avaient fait leurs preuves dans le passé. Cette situation a certainement eu plusieurs avantages, en nous amenant par exemple à organiser une journée qui s’est avérée appropriée pour l’ensemble des types de personnes œuvrant en santé publique, en maintenant un heureux équilibre entre le connu et l’inconnu, le classique et l’alternatif. Travailler dans ce contexte a cependant posé certains obstacles et demandé beaucoup plus de temps et d’énergie que prévu, compte tenu du fait, notamment, que la légitimité des stratégies d’éducation populaire reste encore largement à être établie en santé publique.

Mentionnons d’emblée que la très grande majorité des idées que nous avions pensées a pu être concrétisée. Certaines des activités proposées et mises en œuvre n’ont toutefois pas été unanimement perçues comme étant crédibles sur le plan pédagogique ou scientifique. Cette circonspection a pu nuire à leur pleine et entière réalisation, bien qu’il soit évident que d’autres facteurs aient pu entrer en ligne de compte (tels que la grande abondance d’activités dans cette journée ou le manque d’intérêt des participantEs face aux thèmes ou activités choisis). De plus, même si les aspects logistiques revêtent une importance centrale et doivent être pris en compte lors de la planification d’une conférence de l’ampleur des JASP, nous nous sommes parfois demandées si ces questions ne conditionnaient pas trop la mise en œuvre de certaines de nos approches pédagogiques. Ce fut par exemple le cas lorsque nous avons dû imposer à la dernière minute des changements à des responsables d’ateliers. Or, ces changements entravaient la participation active des participants, aspect qui avait pourtant été reconnu comme l’un des fondements pédagogiques de cette journée.

Au cours de notre expérience, nous avons réalisé que malgré certains discours en santé publique sur la légitimité de savoirs autres que ceux produits dans une logique positiviste, la réalité est que des préjugés persistent envers ce type de méthodes et savoirs, même si l’on accepte, comme lors de ce symposium, de leur faire une large place. Ce manque de reconnaissance a été souligné à d’autres occasions par bien des personnes de santé publique issues des milieux universitaires et institutionnels (voir notamment : Groupe de recherche Quart Monde-Université, 1999 ; Gendron, 2001; Minkler et Wallerstein, 2003). Peut-être est-ce relié à un manque de familiarité? À un manque de diffusion des résultats obtenus par ces méthodes? À un manque d’outils convaincants pour démontrer la pertinence et l’efficacité de ces méthodes? Peut-être est-ce relié au fait que nous sommes réticents à sortir de nos cadres de référence? Ou que l’on doute de pouvoir combiner rigueur scientifique, créativité et innovation? Ou encore peut-être est-ce dû au fait que nous n’avons pas réellement appris à nous connaître et que les frontières disciplinaires et sectorielles en santé publique demeurent encore plus étanches que ce que nous voulons bien admettre?

Si ces questions méritent indéniablement réflexion, elles ne sauraient cependant nous dispenser d’un travail quelque peu introspectif : avons-nous su bien argumenter la valeur et la pertinence des approches suggérées? Avons-nous suffisamment fait preuve d’ouverture et de flexibilité d’esprit pour discuter et débattre de ces questions ou sommes-nous ancrées dans notre perspective? Avons-nous mis en place les bons moyens pour atteindre nos objectifs? Avons-nous choisi des formules et des activités appropriées et intéressantes? Connaissions-nous suffisamment les divers acteurs de santé publique afin de bien saisir leurs cadres de pensées, leurs intérêts et leurs besoins? Y songer nous permettra certainement d’améliorer la qualité de notre travail dans le futur et contribuera, nous espérons, à positionner l’utilité de l’éducation populaire dans l’univers de la santé publique. À l’avenir, la légitime expression du savoir saura peut-être marier les diverses traditions de pensée, dussent les premiers pas menant à cet idéal prendre la forme d’une union de raison.

Nous espérons que notre expérience et les quelques leçons que nous avons tirées de cette aventure pourront constituer une source d’inspiration et ainsi contribuer à construire l’avenir de ce déploiement de « savoirs sans frontière ». S’il est une chose que nous retiendrons, c’est que ces frontières existent d’abord et avant tout dans chacune de nos têtes où, trop souvent, le savoir est encadré par une vision unique et univoque. À nous d’en sortir et de profiter alors de toute la richesse qui peut ainsi s’offrir à nous.



[i] Les noms des auteures apparaissent ici en ordre alphabétique ; comme leur contribution est égale, elles se considèrent par conséquent co-auteures principales de cet article.

[ii] Myrtha Cionti Bas, agente de recherché sociosanitaire, Institut national de santé publique du Québec, Canada * Sandro Di Cori, responsable de la promotion de la santé, Fondation Lucie et André Chagnon, Québec, Canada * Ginette Lafontaine, adjointe à la planification, l’évaluation et la recherche, Direction de la santé publique, Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie, Québec, Canada * Réal Morin, directeur scientifique, Institut national de santé publique du Québec, Canada * Evelyne Pedneault, étudiante en droit, Université Laval, ancienne permanente, Collectif pour un Québec sans pauvreté, Canada * Louise Potvin, professeure titulaire, chaire Approches communautaires et inégalités de santé, Université de Montréal, Québec, Canada * Louise St-Pierre, responsable par intérim, Centre sur les politiques publiques, Institut national de santé publique du Québec, Canada * Monik St-Pierre, agente de planification, de programmation et de recherche sociosanitaire, Direction générale de santé publique de la Capitale-Nationale, Québec, Canada * Rachel Stringer-Engler, chercheure postdoctorale Université de Montréal, Québec, Canada. Co-responsables : Michel O’Neill, professeur titulaire, Université Laval, Québec, Canada et Sophie Dupéré, candidate au doctorat, Université Laval, Québec, Canada.

[iii] Nous reconnaissons que l’expression « éducation populaire » recouvre des pratiques multiples et hétérogènes, mais les débats entourant la définition de la notion est hors de la portée de cet article. Nous référons quant à nous à la définition, empruntée au Regroupement en éducation populaire et action communautaire (www.repac.org), que nous avons reprise pour l’ensemble de nos travaux et dont nous avons résumé quelques éléments dans le présent article.

Voulez réagir à ce texte? Cliquez ici!

Références

Groupe de recherche Quart Monde-Université. (1999). Le croisement des savoirs. Quand le Quart Monde et l'université pensent ensemble. Paris: Éditions Quart Monde & Éditions de L'Atelier. URL: http://www.editionsquartmonde.org/live/detail_produit.php?parm_produit=293&parm_cat=98-NOUV&mots=Le+croisement+des+savoirs

Arnold, R. et al. (1991). Educating for a Change. Toronto: Between the Lines and Doris Marshall Institute. URL: http://www.btlbooks.com/Search/education.htm#8

Freire, P. (2001). Pédagogie des opprimés suivi de Conscientisation et révolution. Paris : La découverte.

Gendron, S. (2001). La pratique en santé publique: l'émergence d'un paradigme. Thèse de Ph.D en santé publique, Université de Montréal, Montréal.

JASP. (2006). Programme du symposium La Charte d’Ottawa est-elle encore utile aux pratiques de santé publique d’aujourd’hui ? PDF: http://www.inspq.qc.ca/jasp/programme/2006/Mercredi/CharteOttawa.pdf

Minkler, M., & Wallerstein, N. (2003). Community-Based Participatory Research for Health. San Francisco: JosseyBass. URL: http://www.josseybass.com/WileyCDA/WileyTitle/productCd-0787964573,descCd-tableOfContents.html

O’Neill, M., Dupéré, S., Pedneault, É., Perreault, K., Forster, M., Roberge, N., et al. (2006). Le «message de Montréal» : la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé est encore utile pour la pratique de la santé publique d’aujourd’hui! Reviews of Health Promotion and Education Online. URL: reviews/2006/6/index.htm.

Organisation mondiale de la santé. (1986). Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. Genève: Organisation mondiale de la santé. URL: http//www.euro.who.int/AboutWHO/Policy/20010827_2?language=French

Organisation mondiale de la santé. (1990). L’éducation pour la santé : manuel d’éducation pour la santé dans l’optique des soins de santé primaire. Genève: Organisation mondiale de la santé.

Perreault, K., & Forster, M. (2007). La Charte d’Ottawa : sommes-nous encore loin de la réalité postulée? Reviews of Health Promotion and Education Online, 5/index.htm.


Copyright © 1999-2007 Reviews of Health Promotion and Education Online