Review/2001/1
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Quelques défis de la mise en œuvre de la Charte de Bangkok en Afrique francophone[i]

Par Valéry Ridde (Université de Montréal) et Awa Seck (Université Laval), Québec


Ridde Valéry & Awa Seck, Quelques défis de la mise en œuvre de la Charte de Bangkok en Afrique francophone., Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:37/index.htm.


Le contenu de la Charte de Bangkok s’est adapté au contexte actuel de la globalisation des politiques de santé (Lee, Buse & Fustukian, 2002). Nous ne reviendrons pas sur certains enjeux majeurs de cette Charte, déjà notés ailleurs (Ridde, 2005) comme l’absence d’évaluation préalable de la Charte d’Ottawa ou encore le peu de place consacrée à la lutte contre les inégalités sociales de santé. Après l’énoncé de quelques « facteurs décisifs » plus spécifiques à l’Afrique, nous allons, à la lecture de la Charte de Bangkok, relever trois des nombreux défis essentiels qui se posent au développement de la promotion de la santé (PS) sur ce continent tout en proposant trois recommandations potentiellement favorables à la mise en oeuvre de la PS dans cette région.

Facteurs décisifs particuliers à l’Afrique

Les rédacteurs de la Charte ont fait cas de « facteurs décisifs » qui ont des incidences particulières sur la PS en Afrique. En effet, c’est en Afrique que tous les indicateurs sanitaires sont les plus alarmants, et il semble bien que les objectifs du Millénaire n’y seront pas atteints en 2015. Sans parler des ravages connus du sida et de la malnutrition dans la région, c’est vers ce continent que les industriels du tabac et de la « junk food » se tournent, maintenant que les pays à revenus élevés légifèrent pour protéger la santé de leur population. La réorientation des services de santé, amorcée depuis Alma Ata en 1978, n’est pas encore finalisée. Au Burkina Faso par exemple, les hôpitaux et les services centraux consomment encore plus de 50 % du budget de la santé. Les systèmes de soins demeurent largement sous-financés. Depuis des années, une vague de migration du personnel de santé de l’Afrique vers les pays riches s’ajoute au très faible ratio personnel de santé/population. Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne rembourse autant d’intérêt sur sa dette qu’elle ne reçoit d’aide au développement (Labonte & al., 2004). De surcroît, l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale est contrainte par les systèmes injustes de subventions des agriculteurs des pays riches et des barrières douanières en place.

Trouver une place à la promotion de la santé en Afrique

En Afrique, la promotion de la santé est un concept relativement peu connu (Nyamwaya, 2005), la santé publique ayant le monopole des mots et des pratiques. La Charte de Bangkok qui ne distingue pas clairement ces deux approches, n’apporte que de la confusion aux quelques Africains qui s’identifient à la PS. La Charte affirme par exemple que « promouvoir la santé … [est] une fonction essentielle de la santé publique », dont l’objet serait la « lutte contre les maladies »; cette double assertion ne semble pas encore faire l’unanimité chez les experts. Or, en Afrique, les programmes qui font appel à la Charte d’Ottawa sont très rares, même si nombres d’entre eux emploient l’une ou l’autre de ses cinq stratégies. Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour rendre intelligible la préséance de la santé publique, mais faute de place, nous limiterons notre propos aux deux plus importants, selon nous. Premièrement, l’Afrique francophone est traditionnellement plus tournée vers la France ou la Belgique que vers le Canada. Or, nous savons que ce premier pays ne brille ni pour ses actions en promotion de la santé — pas plus en santé publique selon certains (Fassin, 2005) —, ni pour celles visant les déterminants sociopolitiques des inégalités de santé (Ridde, 2004). En France, le paradigme d’une santé publique biomédicale où l’éducation pour la santé y est mieux connue et plus pratiquée que la PS perdure. Compte tenu de l’histoire qui relie ces deux régions du monde, des études professionnelles que de nombreux Africains reçoivent en France et de l’importance de la coopération française, c’est ce modèle biomédical qui est largement pratiqué en Afrique francophone. Deuxièmement, la Charte d’Ottawa est née presque 10 ans après la déclaration d’Alma Ata. Or, les soins de santé primaires (SSP) sont amplement connus des intervenants africains de santé publique, contrairement à la promotion de la santé (Seck, Morin & O’Neill,  2003). À l’instar d’autres pays de la région, le Sénégal a bien avant la Charte d’Ottawa, intégré des activités préventives et promotionnelles dans son paquet minimum d’activités de santé. La perspective des SSP est évidemment plus restreinte que celle de la PS, mais la première reste la référence des professionnels de santé. Ceci explique certainement pourquoi, au Sénégal, l’intégration souhaitée de la promotion de la santé formulée lors des Assises nationales de la santé en 2000 n’est toujours pas concrétisée. En guise de recommandation pour ce défi particulier, nous souhaitons que les prochaines Chartes mettent l’accent sur le renforcement des capacités des institutions et des ressources humaines africaines en promotion de la santé.

Développer et partager des connaissances adaptées au contexte africain

La Charte de Bangkok, fidèle au courant actuel des données probantes, insiste sur les « nouvelles possibilités » de « mise en commun des expériences » et sur ses « stratégies éprouvées ». Face à la rareté de ressources et à la pression de l’evidence-based medicine, de multiples travaux sont en cours pour démontrer l’efficacité de la promotion de la santé (Hills, Carroll & O'Neill, 2003). Nous ne traiterons pas dans cet article des enjeux épistémologiques consubstantiels de ces démonstrations de l’efficacité. Ce que nous souhaitons surtout exprimer concerne les défis des acteurs africains à disposer de ces résultats. Premièrement, il faut préciser que la grande majorité des recherches en cours pour tenter de se doter, soit d’un cadre d’analyse de l’efficacité, soit des preuves de l’efficacité se déroule ailleurs qu’en Afrique. Il existe bien un volet africain au programme mondial sur l’efficacité en promotion de la santé de l’UIPES, mais il est limité par ses moyens et essentiellement porté et orienté vers l’Afrique anglophone. Si nous nous réjouissons de ces travaux mondiaux et si leur pertinence scientifique n’est pas à remettre en cause, nous sommes en droit de nous interroger sur le caractère transférable de leurs conclusions. Pour reprendre les deux termes évoqués dans un récent article, malgré tout le sérieux de ces entreprises, il est possible de douter de leur applicability et de leur transferability en Afrique (Wang, Moss & Hiller, 2006). Deuxièmement, il faut reconnaître que les rares chercheurs et promoteurs de la santé en Afrique n’ont, au mieux, qu’un faible accès à ces travaux de recherche, au pire, strictement aucun accès. La plupart de ces travaux sont écrits en anglais, et reposent sur des analyses d’expériences elles-mêmes écrites en anglais. Ces données probantes sont diffusées, soit dans des colloques scientifiques où les Africains ne peuvent que rarement aller, soit dans des revues scientifiques inaccessibles. Si le fossé numérique commence doucement à se combler, du moins pour les privilégiés qui vivent dans les capitales africaines, ces revues sont encore payantes et onéreuses. Certaines initiatives ont cours pour favoriser l’accès gratuit aux revues (HINARI, PLoS, Erudit) mais l’écart est toujours réel. Pour mieux développer et partager les connaissances sur l’efficacité des interventions en promotion de la santé en Afrique, il faut, d’une part, une grande initiative internationale pour déployer des recherches sur le sujet en Afrique. D’autre part, il faut que les prochaines Chartes insistent sur l’importance de rendre les travaux accessibles au plus grand nombre d’Africains incluant leurs responsables politiques.

Favoriser la participation de tous les acteurs concernés

La Charte de Bangkok s’interroge sur l’écart qui peut encore subsister entre « les textes et leur mise en œuvre », ce que l’on qualifie dans l’étude des politiques publiques par implementation gap. Nous oserons formuler l’hypothèse que cet écart s’explique en grande partie — comme cela a été mis au jour depuis longtemps pour les politiques publiques (Ridde, 2004a) — par la focalisation des organisateurs des Chartes sur le contenu de ces dernières au détriment du processus. Nous avons eu la chance de participer à un débat entre francophones préalablement à la conférence de Bangkok. Mais sur les 35 contributions parues sur le forum mis en ligne à cet effet, il n’y en a eu que deux provenant d’Africain-es. Il faut se souvenir qu’aucun délégué africain n’était présent à Ottawa en 1987 (Nyamwaya, 2005) et leur représentation à Bangkok était faible. De surcroît, on peut douter du processus mis en œuvre par l’OMS, avant l’adoption de la Charte, pour s’assurer d’une pleine participation des africains à la définition du contenu. La société civile africaine n’a pas été consultée alors que les quelques rares spécialistes africains de la PS ont déjà dit que « ordinary people usually participate only passively in the health promotion process » (Nyamwaya, 2003). Si rien n’a été fait a priori, nous n’avons pas eu connaissance d’activités majeures réalisées a posteriori pour informer les populations de l’existence de cette nouvelle Charte. L’Afrique serait-elle à la marge de la « mondialisation » de la promotion de la santé? Nous recommandons qu’à l’avenir, les organisateurs des conférences mondiales de PS affirment, au-delà des discours, l’importance de la participation des communautés à la formulation des Chartes et s’assurent que des moyens endogènes et exogènes soient déployés à cet effet.


[i] Ce texte est diffusé dans le cadre d’un projet conjoint RÉFIPS-UIPES

(voir 6/index.htm). Il a été

originellement publié  dans un ouvrage du RÉFIPS van Steenberghe, É. et

St-Amand, D. (dirs.) (2006). La charte de Bangkok ? Ancrage pour de

meilleures pratiques en promotion de la santé ? Montréal : Collection

Partage, Réseau francophone international pour la promotion de la

santé, pp. 57 à 62, et est aussi disponible en ligne au

http://refips.org/files/international/charte_bangkok.pdf

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Références

Fassin, D. (2005). Faire de la santé publique (p. 59). Rennes: Éditions de l'ENSP.

Hills, M. D., Carroll, S., & O'Neill, M. (2003). Vers un modèle d'évaluation de l'efficacité des interventions communautaires en promotion de la santé : compte-rendu de quelques développements nord-américains récents. Promotion & Education, Spec(1), 17-21, 49.

Labonte, R., & al. (2004). Fatal Indiffrence. The G8, Africa and Global Health. Ottawa: IDRC-UTC Press.

Lee, K., Buse, K., & Fustukian, S. (eds). (2002). Health policy in a globalising world. Cambridge: Cambridge University Press.

Nyamwaya, D. (2003). Health promotion in Africa: strategies, players, challenges and prospects. Health Promotion International, 18(2), 85-7.

Nyamwaya, D. (2005). Trends and factors in the development of Health Promotion in Africa, 1973-2003, in Scriven, A. & Garman, S. Promoting Health, Global Perspectives (pp. 167-178). London: Editors Palgrave.

Ridde, V. (2004). Une analyse comparative entre le Canada, le Québec et la France : l'importance des rapports sociaux et politiques eu égard aux déterminants et aux inégalités de la santé. Recherches Sociographiques, XLV, 2, 343-364. Accessible au http://www.erudit.org/revue/rs/2004/v45/n2/index.html.

Ridde, V. (2004a). Kingdon à Bamako : conceptualiser l'implantation d'une politique publique de santé en Afrique. Politique et sociétés, 23(2-3), 183-202. Accessible au http://www.erudit.org/revue/ps/2004/v23/n2-3/010889ar.html.

Ridde, V. (2005). Une triple interrogation à propos de la Charte de Bangkok. Reviews of Health Promotion and Education Online. Accessible au reviews/2005/9/index.htm.

Seck, A., Morin D., & O’Neill, M. (2003). L’étude des besoins de formation continue en promotion de la santé pour les infirmières et infirmiers chefs de postes de santé au Sénégal. Promotion & Education, X(2), 81-86.

Wang, S., Moss, J. R., & Hiller, J. E. (2006). Applicability and transferability of interventions in evidence-based public health. Health Promotion International, 21(1), 76-83.


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