Review/2001/1
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La Charte d’Ottawa : sommes-nous encore loin de la réalité postulée?

Kadija Perreault et Mathieu Forster, Université Laval, Québec, Canada


Perreault, Kadija & Mathieu Forster, La Charte d’Ottawa : sommes-nous encore loin de la réalité postulée?, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:5/index.htm.

Le symposium dédié aux 20 ans de la Charte d’Ottawa (JASP, 2006) et à sa pertinence a récemment fait l’objet d’un commentaire présentant quelques constats tirés de cette journée (O’Neill et al., 2006). Le but du présent texte est d’exposer de façon plus détaillée quelques éléments de contenu ayant émergé lors du symposium, en se basant sur certains propos recueillis auprès de participants-es. La question de l’utilité de la Charte d’Ottawa a été appréhendée à travers quelques thèmes préalablement sélectionnés par des membres du comité scientifique, dont l’utilité de la Charte d’Ottawa dans les pratiques de santé publique jusqu’à ce jour, son actualité, ainsi que les défis d’avenir en santé publique et les stratégies prometteuses pour relever ces défis et faire avancer les pratiques. Ces thèmes seront abordés après un bref rappel des méthodes employées pour recueillir les éléments de contenu.

Méthodes utilisées pour la cueillette d’informations

Sachant que d’autres textes font état de la démarche particulière mise en place pour le symposium (O’Neill et al., 2006; Dupéré et Pedneault, 2007), nous nous permettrons de simplement mentionner ici quelques éléments d’intérêt pour la compréhension du présent texte.

Une trentaine d’étudiants-es bénévoles ont recueilli les propos des participants-es au symposium à l’aide d’un vox pop (questions posées oralement aux participants-es par des journalistes bénévoles) et d’une prise de note systématique lors des activités (grande plénière, sous-plénières et ateliers), et ce, en fonction des thèmes sélectionnés. Une murale invitant les participants-es à inscrire et ainsi partager certaines opinions a aussi été installée. Les éléments de contenu ont été transmis par les bénévoles à deux «grands rapporteurs» (K. Perreault et M. Forster), qui les ont par la suite synthétisés et exposés à l’animateur de la plénière de clôture intitulée « Droit de parole » (R. Perreault), ainsi qu’aux comédiens de la troupe de théâtre «Mise au jeu», lesquels ont fait quelques présentations théâtrales pendant le « Droit de parole ».

Sur un peu plus de 1000 participants, quarante-six ont répondu aux questions des journalistes au vox pop. Une cinquantaine de pages de notes prises lors des activités ont été passées en revue. Une vingtaine de commentaires ont été inscrits sur la murale.

Éléments de contenu ayant émergé au cours du symposium

Les quelques réflexions livrées ici sont issues des processus de collecte d’idées décrits ci-dessus; nous ne prétendons donc nullement en être les auteurs-es, mais revendiquons plutôt le statut de porte-paroles. Bien que notre souhait premier soit d’adéquatement refléter les propos des participants-es, notre compte rendu n’est probablement pas exempt d’une part d’interprétation, tant pour les personnes ayant collecté les données que pour nous qui les avons synthétisées.

Utilité de la Charte d’Ottawa dans les pratiques de santé publique jusqu’à ce jour

La vaste majorité des personnes interrogées a jugé que la Charte d’Ottawa est encore utile aujourd’hui (oui=93 %, non=3 % et ne connaît pas la Charte= 4 %). Mais, que représente-t-elle au juste? Une multitude d’expressions ont été utilisées par les participants-es pour la décrire: un cadre de référence; une philosophie ; un regroupement d’idées, d’orientations, de directions; des grandes lignes; une vision, etc. Certains voient même en la Charte d’Ottawa les vertus d’un manifeste ou d’une bible! Peu importe la description qu’ils en font, les participants-es considèrent que la Charte constitue un document de base en promotion de la santé et en santé publique servant de guide pour la recherche, l’intervention et/ou la formation.

Toutefois, à la lumière des propos recueillis, la Charte d’Ottawa ne représenterait pas un outil d’intervention directement utilisable en pratique, étant davantage perçue comme un instrument théorique. Les raisons évoquées pour expliquer son manque d’application incluent une difficulté à traduire concrètement la Charte dans la pratique ainsi qu’une faible volonté politique face à sa réelle mise en œuvre. Quelques personnes ont mentionné s’être servies de la Charte durant les premières années après sa promulgation, mais que son utilisation était devenue de plus en plus difficile suite à des transformations institutionnelles successives dans le milieu de la santé publique. Néanmoins, une timide majorité (56%) des répondants-es a toujours déclaré s’en servir de façon plus ou moins explicite dans son travail quotidien. Fait surprenant, les ateliers dédiés à la conceptualisation théorique ont attiré davantage de participants-es que ceux relatant des exemples d’application pratique. Cet empressement envers la théorie au détriment de l’apprentissage pratique traduit peut-être une certaine insécurité dans l’interprétation du texte de la Charte.

L’utilité de l’adoption de documents semblables à la Charte d’Ottawa comme fondement stratégique en santé publique n’a pas été mise en doute. Pour défendre la pertinence de tels documents, les participants-es ont rapportés qu’ils servaient d’outils de légitimation des actions de santé publique, et qu’ils fournissaient un excellent point de départ pour développer des projets et des programmes.

Dans un autre ordre d’idées, le symposium a été le témoin d’un sujet de controverse très actuel en santé publique et en promotion de la santé, soit la dualité entre environnement et individu. L’étude du rôle joué par l’environnement physique et social, jugé prédominant par certains, occulterait l’étude des facteurs individuels influençant l’adoption de comportements. Reconnaissant volontiers la pertinence du point de vue environnemental, les adeptes de la cause individuelle plaident le bien-fondé de leur approche de recherche, laquelle semblerait de moins en moins considérée par leurs pairs. Une revue -même sommaire- des diverses interventions de promotion de la santé mises en œuvre au Canada montrerait toutefois la domination des actions visant directement l’individu plutôt que ce qui l’entoure. La possible suprématie environnementaliste semble donc majoritairement confinée aux activités de recherche, les approches individuelles étant privilégiées dès qu’il s’agit de tenter de mettre les connaissances en pratique. À ce jour, la Charte verrait dès lors sa stratégie dédiée à l’acquisition d’aptitudes individuelles généreusement représentée en pratique, au détriment des politiques pour la santé, des environnements favorables ou de l’action communautaire.

Actualité de la Charte d’Ottawa

Il fut intéressant d’interroger les participants sur leurs perceptions relatives à l’actualité de la Charte. En effet, contrairement à ce qui aurait pu être crû d’un document rédigé à une époque significativement différente de celle d’aujourd’hui, notamment en ce qui a trait aux changements observés dans les relations internationales et la santé mondiale, la plupart des personnes interrogées considèrent que la Charte représente toujours un document à jour (oui=68 %, non=29 % et ne sait pas= 3 %). Pour ceux qui jugent que la Charte d’Ottawa nécessite une révision, une Charte renouvelée tiendrait davantage compte des enjeux liés à la mondialisation et aux besoins des différentes populations du monde. Par ailleurs, les propos recueillis révèlent une grande méconnaissance de l’existence et du contenu de la Charte de Bangkok par la majorité des personnes interrogées (61 %). Son intérêt, en tant que mise à jour de la Charte d’Ottawa, ne fait pas non plus l’unanimité auprès des participants-es qui la connaissent. Continuer à diffuser la Charte d’Ottawa pour mieux la faire connaître semble toujours une avenue intéressante, selon les participants-es au symposium.

Jugé encore d’actualité par la majorité, le modèle proposé par la Charte n’aurait en revanche pas atteint son plein potentiel social et politique, son impact réel se faisant toujours attendre. Les enthousiastes années qui ont suivi l’adoption de la Charte auraient en effet cédé leur place à des temps bien plus moroses, qui confineraient trop souvent cette dernière dans le laboratoire social des projets pilote au lieu de la laisser véritablement inspirer les politiques publiques. Force est toutefois d’admettre que vingt ans après, les approches innovatrices imaginées par quelques mousquetaires constituent encore un modèle de référence en promotion de la santé. La Charte pourrait en outre être invoquée à l’encontre de décisions gouvernementales de courte vue, davantage fondées sur des considérations économiques immédiates que sur une véritable vision sociale...

Défis de l’avenir en santé publique et stratégies prometteuses

Les propos recueillis ont permis d’identifier plusieurs défis de l’avenir pour la pratique de la santé publique. Pour commencer, la mondialisation, la réduction des inégalités et le besoin de prendre en considération les spécificités des pays et des groupes de populations sont apparus comme des défis majeurs pour le futur de la santé publique. La prise en compte et l’action sur l’ensemble des déterminants de la santé constitue un autre défi de taille rapporté par des participants-es au symposium. Pour certains-es, les orientations de santé publique devraient à l’avenir être davantage centrées sur le développement durable. D’un point de vue opérationnel, le manque de ressources pour soutenir les activités de santé publique, particulièrement au niveau local, a été soulevé comme un immense défi à relever. La mise en œuvre de véritables collaborations intersectorielles serait un autre élément sur lequel la santé publique devrait davantage se concentrer.

Différentes stratégies ont été proposées pour faire face à ces défis. Au niveau conceptuel, le besoin de mettre un plus grand accent sur une vision positive de la santé, plutôt qu’une vision qui s’attarde principalement aux facteurs de risque, a été mis de l’avant. L’importance d’agir selon une approche communautaire et non seulement individuelle a été soulignée comme stratégie clé. Le partage entre les pays des résultats d’initiatives et d’expériences locales pourrait aussi aider à la mise en place d’activités de promotion de la santé et de santé publique dans le monde. La majorité des stratégies rapportées par les participants-es repose par contre sur les rôles d’une pluralité d’acteurs. La nécessité de connaître les perceptions des citoyens en regard de la promotion de la santé et de la santé publique a donc été évoquée à quelques reprises. Ceux-ci devraient être impliqués et conscientisés afin de favoriser l’atteinte d’objectifs de santé publique qui reflètent leurs besoins. L’implication de nouveaux acteurs, tels que le secteur privé, dans l’atteinte des objectifs de santé publique représenterait une autre piste de solution. Le rôle des décideurs politiques pour stimuler l’application des principes de la Charte a été soulevé par plusieurs personnes. Ainsi, le renforcement de la volonté politique aux différents niveaux de prises de décision devrait être privilégié pour agir face aux enjeux de santé publique. Enfin, le fait d’apporter des changements dans la formation des professionnels-les de la santé et de la santé publique serait un autre élément permettant de faire face aux défis de l’avenir en santé publique.

Conclusion 

Plusieurs commentaires recueillis tout au long du symposium expriment le vif intérêt et la pertinence d’avoir tenu un tel symposium sur la Charte d’Ottawa dans le cadre des 10e Journées annuelles de santé publique du Québec (JASP, 2006), vingt ans après sa promulgation. Une telle activité aurait permis de se rappeler et de comprendre l’utilité de la Charte pour la pratique de la santé publique.

À ce jour, l’utilité de la Charte d’Ottawa semble toujours évidente pour les participants-es au symposium, mais son application demeure déficiente. Les propos recueillis auprès de certains participants laissent croire que la formulation d’une version commentée de la Charte pourrait peut-être favoriser son application dans les pratiques quotidiennes. Pourrions-nous ainsi envisager l’édition d’une Charte d’Ottawa annotée qui inclurait une description des aspects théoriques de son contenu, ainsi que des exemples de protocoles opérationnels issus de différents contextes et nations? Ou encore la mise en place d’un site internet spécialement dédié à la Charte, lequel remplirait ce rôle de manière interactive et donc plus facilement évolutive, favorisant en outre un dialogue entre acteurs à travers le monde? La vraie nature de la Charte d’Ottawa réside dans la mise en pratique des idées qu’elle inspire, dont la promotion et le partage finiront peut-être par changer nos sociétés. La réalité postulée de la Charte cesserait alors de constituer un idéal de papier majoritairement confiné à un cercle d’initiés.

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Références 

Dupéré, S. et Pedneault, É. (2007) L'utilisation de formules pédagogiques alternatives dans le cadre de la journée sur la Charte d'Ottawa, JASP 2006: Entre volonté et réalité. Sous presse, Reviews of Health Promotion and Health Education Online.

JASP (2006) ; Programme des 10es Journées annuelles de santé publique, Montréal, http://www.inspq.qc.ca/jasp/programme/2006/default.asp?A=2&Lg=f

O’Neill, M., Dupéré, S., Pedneault, É., Perreault, K., Forster, M., Roberge, N., Parent, P. et Perreault R. (2006) Le «message de Montréal» : la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé est encore utile pour la pratique de la santé publique d’aujourd’hui! Reviews of Health Promotion and Health Education Online, reviews/2006/6/index.htm.


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