Review/2001/1
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La Charte de Bangkok : des espoirs pour la région de l’Afrique francophone?

par Aïssata Moussa Abba, candidate au PhD en santé communautaire, Université Laval [1].


Moussa Abba, Aïssata, La Charte de Bangkok : des espoirs pour la région de l’Afrique francophone?, Reviews of Health Promotion and Education Online, 2007. URL:8/index.htm.

L’élaboration de la Charte de Bangkok s’est beaucoup inspirée du contexte de la mondialisation qui selon ma vision, constitue la principale « nouveauté » qui aurait servi de justification. Le concept de mondialisation est relié à plusieurs autres, dont celui des politiques publiques aux niveaux national et international (Woodward, D. et als, 2001). En effet, l’objet même de la Charte de Bangkok fait référence aux politiques, partenariats et développement aux échelles nationale et mondiale (Charte de Bangkok, 2005) S’appuyant essentiellement sur ces concepts, cet objet m’a inspiré une question étroitement liée aux politiques publiques et leur influence sur la promotion de la santé, et la santé des populations. Cette interrogation qui est à mon avis cruciale dans les régions les plus défavorisées du monde en général, et en Afrique francophone en particulier, mérite une réflexion particulière. Je me demande alors, dans le contexte actuel de mondialisation, jusqu’à quel point peut-on espérer une mise en œuvre réelle et des impacts positifs de la Charte de Bangkok pour des politiques publiques en faveur de la promotion de la santé en Afrique francophone?

Politiques publiques internationales et santé en Afrique francophone

Les effets néfastes de la mondialisation sur la santé des populations sont indéniables (Woodward, D. et als, 2001; Pinder, L., 1998). Aussi, l’utilité de la dimension politique n’est plus à démontrer dans l’amélioration de la santé et du bien-être des populations (Kickbusch, I. 1986; Kickbusch, I., et als, 1990; McCubbin, M., 2001; O’Neill, M., et als, 2006). Cependant, force est de constater que paradoxalement, des institutions internationales comme l’Organisation mondiale de la santé ont perdu de leur crédibilité et leur autorité morale sous la vague de la mondialisation et du néo-libéralisme économique mondial(Arwidson, P., 2005). Différents gouvernements et de surcroît ceux des pays pauvres, se voient imposer des politiques macroéconomiques en faveur des intérêts économiques des multinationales qui passent avant ceux de la santé et du bien-être des populations (Kickbusch, I., et al, 1999; Marzouki, M., 2005). En effet, ces multinationales et certains pays riches utilisent souvent ce pouvoir économique pour influencer les choix politiques des institutions internationales comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Labonté et Schrecker (2006) soulignaient d’ailleurs que les politiques des pays du G8 sont importantes pour la santé de la population et les déterminants de la santé dans le monde entier. Par exemple, plusieurs pays en développement notamment ceux d’Afrique francophone, continuent de traîner les effets des programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale, et leurs impacts négatifs sur la santé et la qualité des services de santé (Lethbridge, J., 2001; Marmot, M., 2005). En effet, sous la pression des choix politiques des institutions internationales, les États de cette région de l’Afrique sont contraints de se désengager de plus en plus, réduire les budgets et ressources susceptibles d’être investis dans le domaine de la santé, et rendre presque tous les services de santé payants avec le système de recouvrement des coûts (Savedoff, W.D., 2004; Gobbers, D. et als, 2000). Parallèlement, les populations sont devenues plus pauvres, entre autres à cause de la dévaluation de la monnaie régionale (le franc CFA) qui a naturellement entraîné la réduction du revenu des ménages (République du Niger, 2004), qui est un des déterminants majeurs de santé (Raphaël, D., 2004). Tous ces facteurs combinés ont contribué entre autres, à la persistance voire l’augmentation observée des inégalités sociales et de santé tant entre différents pays, qu’entre différentes couches de la population dans un même pays (Ridde, V., 2005; Marmot, M., 2005).Bref, les politiques publiques internationales imposées en Afrique francophone ont des conséquences négatives réelles sur les déterminants de la santé, la promotion de la santé et par là même sur la santé des populations.

Une mise en oeuvre de la Charte de Bangkok en Afrique francophone?

L’objet de la Charte de Bangkok stipulant que « les politiques et les partenariats destinés à donner aux communautés les moyens d’agir et à améliorer la santé et l’égalité en matière de santé devraient être au centre du développement national et mondial », n’est à mon avis pas adapté au contexte actuel de l’Afrique francophone. Sa mise en œuvre constitue en elle-même un enjeu car elle irait justement à l’encontre des politiques des détenteurs du pouvoir (les institutions internationales et les multinationales). Concrètement, l’objet de la Charte signifierait que les communautés de ces pays disposeraient de suffisamment d’informations et de pouvoir pour par exemple s’opposer à l’implantation de l’industrie du tabac ou de la malbouffe, ou une privatisation des services de santé qui serait imposée par le FMI, ou une politique de profits des grandes industries pharmaceutiques qui réduit l’accès aux médicaments, ou la libéralisation des frontières qui les mettrait en concurrence avec des producteurs subventionnés des pays riches pour le commerce de certains produits comme le coton, … Ces mêmes communautés sont pourtant prises au piège des politiques publiques internationales, dans un cercle vicieux de pauvreté, instabilités sociale et politique, violence, problèmes environnementaux et maladies émergentes et reémergentes (Sachs, J. D., 2004). Sans être totalement pessimiste, et sans non plus me faire des illusions, il me paraît difficile dans de telles conditions, de fonder des espoirs de vrais partenariats ou politiques en faveur de la promotion de la santé dans cette région du monde. Nombreuses sont les déclarations internationales pour lesquelles l’on peut observer un écart entre la rhétorique et les actions. En effet, comme cela a été dit par O’Neill (2005), je crains que la Charte de Bangkok ne soit effectivement qu’un de ces gros engagements des multiples conférences internationales, dont l’application est pratiquement impossible pour des gouvernements ayant de moins en moins de pouvoir et de liberté d’action. En fait, en Afrique francophone, le premier gros défi à relever est d’abord la réduction de la pauvreté, un des objectifs du millénaire pour le développement, qui atténuerait la dépendance économique des pays et des communautés, et aiderait beaucoup à la promotion de la santé. Pour cela, il aurait été plus original que la Charte de Bangkok propose explicitement des actions concrètes comme par exemple l’annulation de la dette des pays pauvres, ou des investissements dans la formation de professionnels en promotion de la santé avec des compétences en actions politiques, qui vont travailler aussi bien au près des décideurs que des communautés pour que des gros engagements comme ceux pris à Bangkok soient applicables et appliqués dans cette région.

Note: Ce texte est diffusé dans le cadre d’un projet conjoint RÉFIPS-UIPES (voir 6/index.htm). Il a été originellement publié par le RÉFIPS au  http://refips.org/forum/viewtopic.php?t=25.


[1] Ce texte est publié dans le cadre d’un projet de diffusion conjointe entre le Réseau francophone international pour la promotion de la santé (RÉFIPS) et l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé (UIPES) décrit au 6/index.htm . L’original a été publié par le RÉFIPS au http://refips.org/forum/viewtopic.php?t=25

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Références

Arwidson, P. (2005). Synthèse du forum francophone sur la préparation de la Charte de Bangkok. Disponible à: reviews/2005/2/index.htm.

Charte de Bangkok pour la promotion de la santé à l’heure de la mondialisation. HPR017.doc, CG/béal. Disponible sur :http://www.who.int/healthpromotion/conferences/6gchp/BCHO_fr.pdf

Gobbers, D. et Pichard, É. L’organisation du système de santé en Afrique de l’Ouest : santé publique et pays pauvres. ADSP No 30, mars 2000, pp. 35-42.

Kickbusch, I. (1986). Health Promotion: A Global Perspective. Canadian Journal of Public Health, 77, 321-6.

Kickbusch, I., Draper, R. et O’Neill, M. (1990). « Healthy Public Policy, a strategy to implement the Health for all philosophy at various governmental levels », in Evers, A. et al. (eds) Healthy Public Policy at the local level; Boulder, Co.; Campus Westview, pp. 1-6.

Kickbusch, I. et De Leeuw, E. (1999). Global public health: revisiting healthy public policy at the global level. Health promotion international, 14 (4), pp. 285-288.

Labonté, R. et Schrecker, T. (2006). The G8 and global health: what now? What next? (commentary). Can J Public Health 2006;97(1):35-38.

Lethbridge, J. (2001). Health promotion within the development process. Promotion & Education, 8, 1, Education module, pp. 23-28.

Marmot, M. (2005). Social determinants of health inequalities. Lancet, 365, pp. 1099-1104.

Marzouki, M. D’Ottawa à Bangkok et au-delà : la nécessité de redéfinir la promotion de la santé. Disponible à: reviews/2005/2/index.htm.

O’Neill, M. (2005). La Charte de Bangkok aura-t-elle autant d’impact que celle d’Ottawa? Disponible à: reviews/2005/2/index.htm.

O’Neill, M., Gagnon, F., & Dallaire, C. (2006). « La, les, le politique : trois manières d’aborder l’action politique en santé communautaire » in. Carroll, Gisèle (ed.) Pratiques en santé communautaire; Montréal, Chenelière Éducation, pp. 113-128.

Pinder, L. (1998). Health promotion meets globalisation. Promotion & Education, 5, 3/4, Education module, pp. 36-39.

Raphaël, D. (2004). Social determinants of health, Canadian Perspectives. Toronto, Canadian Scholar’s Press, Chap.1.

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Savedoff, W.D. (2004). Find out what works to achieve MDGs. Bulletin of the World Health Organization, 82 (12), pp. 950-951.

Woodward, D., Drager, N., Beaglehole, R.& Lipson, D. ( 2001). Globalization and health : a framework for analysis and action. Bulletin of the World Health Organization, 79 (9), pp. 875-881.


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