Review/2001/2
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D’Yvonne à Kermit: les cinq ressources qui m’ont le plus influencé en promotion de la santé et en éducation pour la santé [English]

Michel O'Neill, Université Laval, Canada


O'Neill M. D’Yvonne à Kermit: les cinq ressources qui m’ont le plus influencé en promotion de la santé et en éducation pour la santé. Reviews of Health Promotion and Education Online, 2001. URL: reviews/2001/10/index.htm.

En me prêtant à l’exercice de trouver quelles ont été les cinq ressources qui m’ont le plus marqué dans mon travail en promotion de la santé et en éducation pour la santé, j’ai d’abord dû réfléchir à ce qu’a été ma carrière dans ces domaines au cours des trente dernières années. J’ai été capable d’y retracer environ quatre périodes principales, pour lesquelles j’ai tenté de faire émerger la ou les ressources qui ont été les plus marquantes. Comme on le verra plus loin, cela a révélé des choses un peu inusitées...

Mes débuts comme praticien: Yvonne...

Ma carrière en ce qui s’appelait alors l’éducation sanitaire a commencé en 1974, alors que lisais les offres d’emploi dans le principal quotidien de ma ville natale de Québec: Le Soleil. Je venais juste de terminer mon baccalauréat universitaire en sociologie et je tombai par hasard sur l’offre d’emploi qui allait changer ma vie à jamais: le tout nouveau Département de santé communautaire du Centre Hospitalier de l’Université Laval était disposé à embaucher un agent de recherche formé en sciences de la santé ou en sciences sociales, ayant de l’expérience en recherche appliquée et familier avec SPSS, pour participer à la dispensation de ses services. Je fus suffisamment chanceux pour obtenir le poste et me retrouvai dans ce qui était alors l’équipe de pointe du Québec dans le domaine de la santé communautaire, à une période particulièrement excitante de l’évolution historique des services de santé publique de cette province. Mon rôle consistait à oeuvrer aux deux extrémités du processus de programmation, à l’analyse des besoins et à l’évaluation, en partenariat avec une variété de professionnel-les (infirmières, médecins, nutritionnistes, dentistes, hygiénistes dentaires, etc.) dont le travail consistait principalement à éduquer la population sur une variété de sujets reliés à la santé.

Mes principales ressources durant les trois ans où j’ai oeuvré comme practicien ont été des gens, i.e. mes collègues professionnel-les. En fait, dû à ma totale absence de connaissances préalables dans le domaine de la santé publique, j’ai appris principalement sur le tas, grâce à l’incroyable générosité des membres de l’équipe hors du commun qui m’avait accueilli. Au delà des acquis scientifiques et académiques que j’ai pu informellement développer au contact de mes collègues de l’équipe de planification des programmes, mes apprentissages les plus significatifs ont toutefois été faits auprès d’Yvonne Bérubé et de quelques autres infirmières de première ligne qui avaient oeuvré toute leur vie sur le terrain. Leur connaissance des milieux où elles oeuvraient était d’une grande sophistication (Yvonne quant à elle travaillait comme infirmière scolaire dans une école secondaire publique); et leur patience pour endurer les remarques de ce jeune blanc-bec de sociologue qui affirmait haut et fort que leurs programmes ne pouvaient pas fonctionner de la manière qu’elles les dispensaient étaient impressionnante, de même que leur capacité à remettre en question leurs pratiques et à questionner mes doutes à leur égard. Depuis lors, mon respect pour les habiletés et le savoir des praticien-nes de première ligne a toujours été très considérable et plus que de toute autre source, c’est auprès de personnes que j’ai appris.

L’ère des études graduées: la découverte de la littérature spécialisée

Afin d’offrir de meilleures réponses que mes seules intuitions de jeune sociologue à mes collègues qui me demandaient “Que faisons-nous alors ?”, face à mes arguments que leurs activités d’éducation sanitaire ne pouvaient fonctionner, j’ai entrepris un long cycle d’études graduées en sociologie, naviguant cependant toujours au frontières de la santé publique. Je fis d’abord une maîtrise à l’Université Laval, tout en travaillant à temps complet au DSC du CHUL, puis me dirigeai vers Boston pour un PhD avec deux des chefs de file mondiaux de la sociologie de la santé très liés à la santé publique et à la promotion de la santé: Sol Levine et John McKinlay.

Mon apprentissage principal durant cette période (1975 à 1986) fut qu’il existait une littérature scientifique et professionnelle très considérable en éducation sanitaire, tant que niveau international que... dans ma propre province, avec laquelle je n’avais jamais été en contact auparavant. Ce fut une découverte éblouissante. Je vins d’abord en contact avec les nombreux écrits de notre héros local en éducation sanitaire, Jules Gilbert, dont l’enthousiasme était inépuisable et qui presqu’à lui seul, forma la première génération d’infirmières éducatrices québécoises durant les années 1940 et 1950. Plus important encore, je trouvai dans la littérature internationale des textes qui me permirent d’articuler avec beaucoup plus de clarté les intuitions des mes années de praticien. Une série de textes d’auteur-es américain-es (McKinlay; Brown and Margo; Freudenberg; Minkler et Cox) sur l’importance des facteurs sociaux et structurels au delà des facteurs plus individuels de l’éducation sanitaire classique allait me marquer particulièrement et m’aider à clarifier la perspective qui depuis lors a été celle que j’ai épousée. Cette perspective n’a été formulée nulle part aussi bien que dans le fameux texte de Labonté et Penfold (1981) Analyse critique des perspectives canadiennes en promotion de la santé; avec la qualité d’écriture hors du commun qui caractérise la majorité des textes de Labonté, cet article démontre de manière très articulée, et un tantinet polémique, la nécessité d’aller au-delà de l’approche individuelle à l’éducation pour la santé. On y analyse le fameux rapport Lalonde et montre que malgré une ouverture plus grande, ce sont principalement les aspects de la modification des comportements individuels contenus dans ce rapport qui ont trouvé preneur au Canada alors que la dimension des changements plus structurels a eu davantage d’écho ailleurs. Le fait que ce texte était paru en même temps en français et en anglais, dans une revue professionnelle bilingue publiée depuis des années par Santé Canada, m’a aussi enseigné une leçon majeure: même si son importance ne doit jamais être sous-estimée, ce n’est pas toujours dans la littérature scientifique internationale que les textes les plus marquants se retrouvent automatiquement, en particulier en français.

D’étudiant à enseignant: deux textes centraux pour deux perspectives incontournables

À la fin des années 1970, avant même de terminer mon doctorat, j’ai commencé à enseigner. En effet, n’ayant pu réintégrer mon travail de praticien, j’ai débuté une carrière académique à l’université de Montréal d’abord, comme chargé de cours, puis à mon Alma Mater, l’Université Laval, où j’occupe un poste de professeur depuis 1981. Dans tous mes cours d’introduction à la promotion de la santé, je répète depuis des années: “Si vous n’avez qu’un livre sur la promotion de la santé à acheter dans votre vie, ce doit être celui de Green et Kreuter”. Pour sa couverture en profondeur du champ, son orientation vers l’action basée sur les théories scientifiques les plus éprouvées, son utilisation concrète dans des centaines de projets partout à travers le monde, pour sa constante évolution d’un ouvrage très centré sur le comportement individuel lors de sa première édition en 1980 vers la troisième de 1999 sous-titrée An Educational and  Ecological  Approach, de même que pour le modèle PRECEDE-PROCEED qu’il propose, Health Promotion Planning (1999) est probablement LE livre le plus utile dans notre domaine.

Cependant, je le contraste toujours avec un texte d’Ilona Kickbusch (1986), et utilise les deux en parallèle comme étant mon duo de lectures fondamentales en promotion de la santé. En effet, le livre de Green et Kreuter est un parfait exemple de la manière dont, au États-Unis, le champ relativement classique de l’éducation sanitaire a évolué vers celui, plus englobant, de la promotion de la santé (et attendu la position centrale des États-Unis dans notre domaine comme dans bien d’autres, de la manière dont le champ sur la scène internationale a évolué). Le texte de Kickbusch, d’autre part, livré à Vancouver à peine quelques mois avant la fameuse conférence d’Ottawa de 1986, présente de manière très claire l’histoire et les arguments à partir desquels le bureau européen de l’Organisation mondiale de la santé, avec la collaboration significative de plusieurs personnes au Canada notamment, a déclenché et nourri le mouvement qui, au milieu des années 1980, allait stimuler l’évolution sur la scène internationale de l’éducation sanitaire vers la promotion de la santé.

La vie académique et militante des années 2000: une grenouille à la rescousse...

Finalement, si je regarde la ressource qui m’a été la plus utile dans ma carrière  d’enseignant, militant et consultant des dernières années, je dois une fois de plus délaisser l’univers de l’imprimé et référer à Kermit la grenouille, la marionnette quasi-mythique de la très populaire (du moins dans les Amériques) série télévisée The Muppet Show. Ce qui m’a été utile, ce n’est toutefois pas tant la série télévisée qu’un logiciel, nommé Kermit et dont l’icône à l’écran était une grenouille, qui à la fin des années 1980 fut le premier système de courrier électronique auquel j’ai eu accès. Kermit a depuis longtemps été remplacé par des logiciels de courriel infiniment plus performants tels Eudora, Outlook, ceux intégrés aux fureteurs tels Netscape ou Explorer, ou encore ceux basés sur le web tels Hotmail ou Moncourrier. Un fait demeure cependant: le courrier électronique a complètement révolutionné nos vies professionnelles, nous permettant de communiquer avec la même aisance et à des vitesses jusqu’alors inimaginables, avec un-e ou plusieurs collègues à la fois, qu’elles ou ils soient la porte à côté ou deux continents plus loin. Je ne suis que trop conscient du clivage que l’ère électronique renforce entre les riches et les pauvres de ce monde, ainsi que des problèmes significatifs qu’il soulève à cet égard et à plusieurs autres mais je crois néanmoins que l’internet, et en particulier sa composante de courrier électronique, ouvre des possibilités que nous commençons à peine à explorer qui transformeront en profondeur non seulement nos manières de communiquer mais même, avec les possibilités de la réalité virtuelle, jusqu’au sens de la notion de réalité.

Des personnes, des documents papier, des outils électroniques: les ressources qui m’ont été le plus utile en éducation pour la santé et en promotion de la santé sont donc de nature variée ! Comme bien d’autres ressources m’ont aussi été très utiles, en choisir cinq a été un exercice délicat, mais néanmoins fort intéressant. Nous verrons au cours des prochains mois comment les réviseurs et les autres membres de l’équipe éditoriale de la RHP&EO s’y adonneront !

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Références:

  1. Green, L.W., and Kreuter, M.W. (1999). Health promotion planning, an educational and ecological approach (3rd edition). Mountain View, CA: Mayfield Publishing Company, 621p. WWW
  2. Kickbusch, I. (1986). “Health promotion, a global perspective”; Canadian Journal of Public Health, 77: 321-26. WWW
  3. Labonté, R., Penfold, S. (1981). “Analyse critique des perspectives canadiennes en promotion de la santé”; Éducation sanitaire, 19 (3-4): 4-10, 14.


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